Introduction aux commentaires du code
C'est en 1825 que le mot "déontologie" apparaît pour la première fois en langue française, dans la traduction de l'ouvrage du philosophe utilitariste anglais Jeremy Bentham intitulée "l'Essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d'Art et Science".
Il a formé ce terme à partir des racines grecques « logos » : discours et « déontos » ; ce qu’il faut faire. Il s’agit de dire « si telle ou telle action doit ou ne doit pas être faite ».
Vingt ans plus tard, le Dr Max Simon publie le premier ouvrage de Déontologie médicale (voir note [1]) dont la parution coïncide avec le Congrès médical qui, rassemblant pour la première fois plus de 1000 médecins français à Paris, est l'occasion d'une prise de conscience et de la naissance du corps médical.
Aujourd'hui la déontologie rassemble les éléments d'un discours sur les devoirs. C’est ce qui le distingue d’un recueil de principes éthiques, dont la non application n’encourt pas d’autres sanctions que morales.
La déontologie médicale concerne le médecin qui exerce une profession - au sens strict du terme, qui suppose une certaine autonomie de pratique et de régulation - à laquelle les lois françaises donnent depuis près de deux siècles un monopole dans le domaine de la santé. Elle sert de référence aux instances juridictionnelles de l'Ordre des médecins, mais d'abord de guide aux médecins dans leur pratique quotidienne, au service des patients.
Le code de déontologie médicale n'est pas seulement établi par la profession. Si celle-ci, représentée en l'occurrence par l'Ordre national des médecins, est chargée de l'élaborer, le texte qui en découle est soumis à l'administration, au Conseil d'Etat et finalement au gouvernement, chacun ayant la charge de vérifier sa conformité avec les lois et autres règlements régissant la société où exercent les médecins et la possibilité d'y apporter des modifications. Enfin, le code est publié au Journal Officiel sous la signature du Premier ministre.
Le code de déontologie précise ainsi des dispositions réglementaires concernant un exercice professionnel. Elles sont subordonnées à d'autres textes plus importants, notamment la Constitution et les lois ; elles doivent être compatibles avec d'autres décrets et commandent d'autres textes de moindre portée, en particulier les arrêtés. Comme les autres citoyens, les médecins sont soumis aux lois - concernant par exemple le respect de la vie ou le secret professionnel - mais le bon fonctionnement de leur corps professionnel est favorisé par des règles propres.
Le présent code de déontologie (voir note [2]) est la cinquième version, après le premier code de 1947 (voir note [3]), une deuxième version de 1955 (voir note [4]), la troisième de 1979 (voir note [5]) et la quatrième de 1995 (voir note [6]).
Bien qu'étoffé au fil des versions successives (79 articles dans le code de 1947, 112 dans celui-ci), le code de déontologie médicale reste relativement concis, sans pouvoir entrer dans les détails ni envisager tous les cas particuliers et sans naturellement apporter explications ou justifications qui améliorent sa compréhension. C'est l'objet de ces commentaires.
Les médecins militaires, qui ne sont pas tenus de s’inscrire à l'Ordre des médecins, disposent de règles de déontologie propres (voir note [7]) largement inspirées du code s'appliquant aux civils mais tenant compte de leur pratique dans le cadre de l'institution militaire. Les autres professions médicales (chirurgiens-dentistes, sages-femmes), ou de santé (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues) qui disposent également d'un Ordre, ont leur propre code de déontologie (voir note [8]).
L'institution de l'Ordre des médecins, confirmée par l'ordonnance du 26 septembre 1945, a conduit à la rédaction du premier code de déontologie médicale, publié le 28 juin 1947. Celui-ci n'a que peu innové, reprenant des principes traditionnels régissant la pratique médicale. Les nouveaux médecins prêtent le serment médical, reprenant le serment d’Hippocrate, ce dernier ayant déjà établi, il y a près de vingt-cinq siècles, des règles toujours valables : probité et dévouement du médecin qui doit préserver la vie, ne pas nuire, respecter les personnes malades, leurs intérêts, leur vie privée et le secret médical, être juste.
Le code d’Hammourabi (1752 av. J.C.) renferme les premières dispositions sur la responsabilité du médecin, vues davantage sous l’angle pénal que sous l’angle moral (salaires, sanctions).
Ces principes sont retrouvés, à quelques différences près, dans le Serment médical d’Assaph, médecin juif du VIIème siècle,
Au XIIème siècle, un médecin de Cordoue, Maïmonide, reprend ces principes dans une "prière", qui mérite d'être également connue, où il ajoute la compétence et l'amour de la science, en en reconnaissant les limites et en exprimant le souci de la faire progresser.
Depuis Montaigne, l'individu s'est émancipé et il prime aujourd'hui la collectivité, du moins en France et dans un nombre croissant de pays : le médecin a pour mission de soigner une personne avant d'avoir à défendre la santé publique.
Le code de 1995 accentue l'affirmation des droits des patients, la nécessité de les informer et de les protéger. Il prend en compte l'élargissement du rôle du médecin, au-delà des soins traditionnels qui faisaient parler de "ministère" dans le code de 1947, pour promouvoir la santé publique ; il reconnaît sa fonction de conseil, il insiste sur sa compétence et son entretien dans un contexte d'exercice moins libéral ou plus réglementé.
L’actualisation du code répond à divers soucis de forme et de fond :
- celui d'améliorer la rédaction des articles, en éliminant quelques obscurités ou redondances, et d'en remanier parfois l'ordre, pour mettre en relief les principes fondamentaux de la déontologie avant de les développer dans le cadre des différents modes d'exercice, ainsi que pour rapprocher les articles ayant un objet voisin ;
- celui d'intégrer apports de la jurisprudence et références aux législations nouvelles;
- celui de faire sa place au progrès scientifique et technique, notamment au développement de l'informatique ;
- celui de tenir compte de l'évolution des pratiques professionnelles dans des domaines tels que la médecine de groupe, la médecine d'urgence, l'exercice salarié, la télémédecine ;
- celui de faire écho aux grands débats éthiques : dons d'organes et de produits issus du corps humain, recherche sur la personne humaine, essais thérapeutiques, fin de vie, assistance médicale à la procréation, tests génétiques.
Des principes généraux se dégagent d'une rédaction qui doit tenir compte de nombreux facteurs, sans pouvoir toujours respecter la simplicité souhaitable.
1 - Le premier répond à la primauté de la personne (voir note [9]). Il est affirmé dès l'article 2, de deux manières. Tout d'abord le médecin est au service de "l'individu" avant d'être à celui de "la santé publique". Les deux termes se suivent, ils seront souvent associés et la distinction ne doit pas être exagérée. Cependant leur ordre n'est pas indifférent. Il distingue en effet la France d'autres pays, notamment de tradition anglo-saxonne. Par exemple le premier code de l'American Medical Association (1847) affirmait : "Le premier objectif de la profession médicale est de rendre service à l'humanité, en respectant pleinement la dignité de l'homme et les droits des patients." S'il y a conflit entre les intérêts de l'humanité et ceux de la personne, il importe de savoir lesquels a priori vont passer en premier. Cet ordre doit être d'autant plus souligné que la réflexion européenne évolue en suivant plutôt l'approche française, donnant la priorité à l'être humain. Ces remarques sont tempérées au cas où un individu fait peser une menace avérée sur la collectivité.
Dans un deuxième temps, l'article 2 insiste sur le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité.
Le respect de la vie n'est pas propre au médecin mais s'applique particulièrement à lui, sans être poussé à l'absurde (acharnement thérapeutique). Il en va de même du fameux principe "Primum non nocere", car il n'y a pratiquement pas d'intervention médicale sans risque (l'effet placebo a pour contrepartie un effet nocebo) et le respecter trop scrupuleusement conduirait à l'inaction, elle-même dangereuse : ce souci doit donc être proportionné aux risques engendrés par la maladie, présente ou à venir. Toute mutilation est interdite.
La "dignité" a été ajoutée en 1995 ; on peut considérer qu'elle va de soi, impliquant des égards déjà soulignés par Hippocrate ; sans doute "l'autonomie" aurait-elle eu plus de signification : ce sera peut-être pour le prochain code... Le respect comporte de multiples termes, précisés à diverses reprises tout au long du code.
Une de ses manifestations les plus importantes tient dans le secret médical, affirmé dès Hippocrate, inscrit dans le code pénal (1810) et devenu le secret professionnel dans le code pénal, entré en vigueur en 1994. Son importance persistante est attestée par l'avancement du premier article le concernant (en 1979, article 11, désormais article 4). Il est indispensable à l'exercice médical qui impose une confiance réciproque entre les deux participants du "colloque singulier" (expression de Georges Duhamel, 1935) ou de la "rencontre singulière" (expression de Paul Ricoeur , 1996) : cette confiance est nécessaire à la confidence, le patient doit pouvoir confier les choses les plus intimes qui le concerne, ou le médecin y accéder - ce qui est indispensable à la qualité des soins - pourvu que l'un et l'autre sachent que rien n'en filtrera en dehors d'eux. C'est un secret partagé d'abord, naturellement, entre patient et médecin, puis éventuellement, selon les nécessités, avec pertinence et sans excès, avec d'autres soignants concourant au diagnostic ou au traitement.
Ce respect persiste après la mort du patient, en cas d'autopsie ou de prélèvement d'organe, comme pour le secret médical.
2 - Le deuxième principe, propre à la médecine française et qui conforte la primauté de la personne, est un principe de liberté. Il fonde l'exercice dit libéral de la médecine mais joue aussi pour des médecins d'autre exercice, la distinction n'étant pas si tranchée entre les uns et les autres (les premiers ne jouissent pas d'une liberté absolue, les second n'en sont pas privés).
Cette liberté concerne d'abord le patient. Il est libre de choisir son médecin, sous réserve de sa compétence, beaucoup plus que dans d'autres pays. Il est libre d'accepter ou de refuser ce que lui propose le praticien, ce qui fonde le "consentement éclairé". Son consentement n'autorise pas pour autant le praticien à se livrer à des actes illégitimes. L'exercice de cette liberté est accru par un net renforcement de l'information du patient, une information "loyale, claire et appropriée". Elle est inscrite parmi les devoirs du médecin et précisée par la loi dans des cas particuliers comme la recherche sur la personne humaine, l'interruption volontaire de grossesse, l'assistance médicale à la procréation ou la tenue de registres épidémiologiques... Hors situation d'urgence où l'obligation de porter secours prime, le patient doit donner son consentement pour tout ce qui le concerne : examens, consultations, hospitalisations, soins de toute nature, comme pour ce qui concerne son dossier médical (constitution, transmission, etc.). Cet agrément ne disparaît pas en fin de vie, même s'il est difficile de recueillir alors l'avis du patient ou de tenir compte d'avis antérieurement exprimés à un médecin ou transmis par des proches.
La liberté du médecin équilibre celle du patient. Il a l'obligation de porter secours à une personne en péril qui l'appelle ou lui est signalée. Il se doit de faire preuve de moralité, de probité, de dévouement, principes qui honorent sa profession. Il dispose d'une liberté de prescription tenant compte des données acquises de la science ainsi que des ressources disponibles pour la santé publique. Enfin, il peut faire valoir une clause de conscience pour refuser des soins qui lui sont demandés à trois conditions : en dehors d'une situation d'urgence, en en informant le patient et en favorisant la continuité des soins, par relais avec un autre médecin, choisi par le patient.
Cette double liberté fonde le contrat de soins habituels, contrat tacite ou implicite plus souvent qu'écrit ou explicite, mais qui n'en a pas moins une valeur reconnue.
3 - Une troisième catégorie de principes concerne les qualités exigibles du médecin, du fait de la mission qui lui est confiée par la société. Il est personnellement responsable de ses actes avec, en corollaire, la nécessité de préserver son indépendance professionnelle. Cette indépendance, assurée dans l’intérêt des patients, est la clef de voûte de l'exercice médical, qui ne saurait dépendre d'influences personnelles ou matérielles ou de liens vis-à-vis d'employeurs, d'organismes payeurs, de partenaires industriels ou même humanitaires, etc. Cette responsabilité s'étend aux personnes et collaborateurs travaillant sous son autorité. Elle se partage partiellement lors de travail en équipe ou en réseau.
Pour répondre à sa mission, le médecin doit être compétent. Cette compétence résulte des études qu'il a faites, parfois d'une formation complémentaire acquise et reconnue par les commissions de qualifications gérées par l'Ordre, de son exercice habituel qui peut conduire à développer certaines aptitudes tandis que d'autres s'estompent. Restant posée dans son principe, la compétence générale que donnait le titre de docteur en médecine connaît de fait de sérieuses limitations. Elle est entretenue par un développement professionnel permanent, un perfectionnement régulier pour tenir compte des innovations scientifiques et techniques comme de nouveaux modes d'exercice. La pratique professionnelle est appréciée par une évaluation dont le besoin se fait de plus en plus sentir et qui a toute raison de devenir périodique. Cette compétence est soumise à des installations et à des moyens matériels dont le médecin dispose selon sa pratique. Le médecin doit être aussi disponible, pour répondre à la demande du patient quelle qu'en soit la nature (écoute, examen, conseil, soin), porter secours en cas d'urgence, assurer la permanence des soins..
Il doit exercer sans discrimination vis-à-vis de quiconque, visant même à rétablir une certaine équité quand sont concernées des personnes en difficulté, mineures, majeures vulnérables, privées de liberté, victimes de sévices ou de conflits sociaux ou guerriers.
4 - Enfin ces principes, pour être appliqués, appellent un certain nombre de règles, précisées pour un exercice individuel ou des échanges de toutes sortes avec d'autres médecins ou d'autres professionnels de santé. La solidarité entre médecins, déjà énoncée dans le serment d'Hippocrate, est normale au sein d'une collectivité : c'est la confraternité. Dans le détail, ces règles varient un peu selon le mode d'exercice, comme cela est précisé dans le titre IV du présent code.
Ces indications générales mettent en évidence une évolution dans la continuité. Les grands principes demeurent. Certains changements n'en sont pas moins conséquents ; ils sont dus à l'évolution de la médecine - des connaissances qui la fondent et de ses conditions d'exercice - comme à celle de la société dans laquelle elle se pratique et qu'elle est censée servir.
([1]) M. Simon, « Déontologie médicale ou des devoirs et des droits des médecins dans l'état actuel de la civilisation », Paris Baillière, 1845
([2]) Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du code de la santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code (J.O. du 8 août 2004), qui a codifié le code de déontologie médicale aux articles R.4127-1 à R.4127-112 du code de la santé publique
([3]) Règlement d'administration publique n° 47-1169 du 27 juin 1947 (J.O. du 28 juin 1947)
([4]) Décret n° 55-1591 du 28 novembre 1955 (J.O. du 6 décembre 1955)
([5]) Décret n° 79-506 du 28 juin 1979 (J.O. du 30 juin 1979)
([6]) Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 (J.O. du 8 septembre 1995)
([7]) Décret n° 2008-967 du 16 septembre 2008 fixant les règles de déontologie propres aux praticiens des armées
([8]) Chirurgiens-dentistes : articles R4127-201 à R.4127-285 du code de la santé publique ; sages-femmes : articles R.4127-301 à R.4127-367 ; infirmiers : articles R.4312-1 à R.4312-49 ; masseurs-kinésithérapeutes : articles R.4321-51 à R.4321-145 ; pédicures-podologues : articles R.4322-31 à R.4322-96
([9]) "La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie". (Article 16 du code civil / loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.)