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Article 44 - Sévices

Article 44 (article R.4127-44 du code de la santé publique)

 

Lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection.

Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience.

Du fait même de sa mission et de l’accès tout particulier qu’il a aux conditions de vie de ses patients et de leur entourage, le médecin est inévitablement amené à se trouver en présence de situations de sévices ou de privations à leur égard.

L’article R. 4127-44 du code de déontologie lui crée des obligations à ce titre. Celles-ci sont de deux types :
  • Une obligation de caractère général, qui vaut à l’égard de toute personne, quelle qu’elle soit, celle de mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger et faire cesser les sévices et privations.
  • Une obligation renforcée, lorsque la victime est une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, ou, dans un cadre bien précis, en cas de violences conjugales. Cette obligation peut aller jusqu’à conduire le médecin, en conscience, à signaler les sévices ou privations en cause à l’autorité judiciaire et/ou, le cas échéant, ainsi qu’il va l’être indiqué au point 2.1 s’agissant d’un mineur, à l’autorité administrative habilitée.
Il doit être rappelé par ailleurs que, comme en toute matière, le médecin peut être appelé, à la demande du patient ou de son représentant légal, à rédiger un certificat médical faisant état des éléments objectifs qu’il a pu constater quant aux sévices ou privations en cause.

Il est recommandé au médecin de mentionner, dans le dossier du patient, ses constatations et les démarches effectuées.

1- L’obligation générale pour le médecin qui discerne des sévices et privations à l’égard de toute personne de mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour protéger la victime

Par sévices ou privations, il faut entendre toute forme de mauvais traitements ou de maltraitance, qu’il s’agisse de violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature, de cruauté mentale, mais aussi de négligences ou de comportements ayant des conséquences préjudiciables sur l’état de santé de la personne, ou, s’agissant d’un enfant, sur son développement physique et psychique.
 
S’agissant des moyens susceptibles d’être mis en œuvre par le médecin, l’article R. 4127-44 se borne à évoquer les moyens les plus adéquats, en ajoutant que le médecin doit faire preuve de prudence et de circonspection. Tout est dès lors affaire de la personne concernée, des circonstances, et du degré pressenti de maltraitance.

Dans les cas les plus flagrants, il appartient au médecin de faire en sorte de soustraire la victime à la maltraitance en cause, par exemple en l’hospitalisant et en s'assurant de l’effectivité de cette mesure.

Dans les cas moins évidents, l’appréciation à porter par le médecin sur la réalité et l’ampleur de la maltraitance peut se révéler plus délicate. Il y a lieu pour lui d’effectuer des examens complémentaires ou de faire appel à d’autres professionnels de santé à même de l’éclairer : pédiatre, médecin référent en protection de l’enfance, psychiatre, gynécologue…

En toutes hypothèses, le médecin doit tenir compte de tous les facteurs. Mais il se doit d’agir. L’absence d’intervention est répréhensible.

2- Une obligation renforcée lorsque la victime est une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, ou, dans un cadre bien précis, en cas de violences conjugales : la problématique des signalements

Dans ces cas, ce qui doit être souligné, c’est la possibilité tout à fait exceptionnelle donnée au médecin de procéder à un signalement en étant délié de l’obligation du secret professionnel. L’article 226-14 du code pénal prévoit en effet expressément que, dans ces cas, le médecin est autorisé, s’il estime devoir le faire en conscience, à s’affranchir du secret médical et à porter à la connaissance de l’autorité judiciaire et/ou dans le cas particulier des mineurs, de l’autorité administrative compétente en matière de protection de l’enfance, des éléments couverts par le secret médical.

Les conditions dans lesquelles il peut être procédé à de tels signalements ne sont pas les mêmes selon les victimes des sévices et privations.
 
2.1    S’agissant des personnes mineures

Le terme « mineures » concerne les personnes qui n’ont pas atteint l’âge légal de la majorité, soit celles jusqu’à 18 ans.

L’autorisation donnée au médecin de déroger au secret médical à leur égard en cas de privations ou de sévices résulte des dispositions du 2° de l’article 226-14 du code pénal qui lui permet de porter à la connaissance de l’autorité administrative compétente en matière de protection de l’enfance ou du procureur de la République « les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ».

Le texte précise que, en ce cas, l’accord de la victime n'est pas nécessaire.

Ce signalement n’est toutefois que l’un des moyens, quoique le plus marquant, dont le médecin dispose pour agir. C’est en fonction de la situation du mineur à laquelle il est confronté, qu’il doit se déterminer et après avoir apprécié les mesures adéquates de protection à mettre en œuvre. Il peut se reporter à la fiche mémo élaborée par la Haute autorité de santé (HAS) pour aider au repérage des violences chez l’enfant et la conduite à tenir pour le protéger, et étant observé qu’il se doit en toute hypothèse d’agir. Comme indiqué plus haut, la difficulté d’appréciation de la situation peut conduire le médecin à recourir temporairement à d’autres mesures (hospitalisation par exemple) que le signalement.

Selon les signes de maltraitance ou de danger détectés, le médecin peut les signaler tant à l’autorité administrative, qu’au procureur de la République.
 
  • Le signalement à l’autorité administrative, sous forme d’information préoccupante
Le signalement à l’autorité administrative, dont il doit être souligné qu’il n’est possible en dérogation au secret médical, en application de l’article 226-14 précité du code pénal, que pour les mineurs, est à faire, sous forme d’information préoccupante, à la « cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être » (CRIP), placée sous l’autorité et la responsabilité du président du conseil départemental. Cette cellule, instituée par une loi du 5 mars 2007 est au cœur du dispositif de protection de l’enfance. Le régime qui lui est applicable, ainsi qu’au recueil dont elle a la charge, est défini par le code de l’action sociale et des familles (articles L. 226- 3 et D. 226-2-4). Elle a pour vocation de centraliser le recueil de toutes les informations préoccupantes, afin d’évaluer les situations de mineurs en danger ou en risque de danger et mettre en place les actions relevant de sa compétence ou, le cas échéant, saisir le procureur de la République.

A cette fin, l’article L. 226-2-2  du code de l’action sociale et des familles (1) prévoit que les personnes tenues au secret professionnel sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d’évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier.

L’article R. 226-2-2 du code de l’action sociale et des familles définit l'information préoccupante comme « une information transmise à la cellule départementale mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 pour alerter le président du conseil départemental sur la situation d'un mineur, bénéficiant ou non d'un accompagnement, pouvant laisser craindre que sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger ou en risque de l'être ou que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ou en risque de l'être.

La finalité de cette transmission est d'évaluer la situation d'un mineur et de déterminer les actions de protection et d'aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier ».
Sauf intérêt contraire du mineur, ses parents ou son représentant légal doivent être préalablement informés, de manière adaptée, de cette transmission d’informations à la CRIP.

L’information préoccupante est normalement adressée directement à la cellule susmentionnée, dans les conditions indiquées dans les commentaires de l’article R. 4127-43 du code de la santé publique, mais elle peut également l’être auprès du président du conseil départemental directement. Les textes ne prescrivent pas de forme pour la transmission de l’information préoccupante.
 
  • Le signalement à l’autorité judiciaire : le procureur de la République
L’article 226-14 du code pénal autorise le médecin, qui constate des sévices ou privations infligés à un mineur et qui lui permettent de présumer que des violences de toute nature ont été commises, à en aviser le procureur de la République.

Le signalement au procureur de la République est un écrit précis et objectif décrivant les signes relevés à l’examen clinique par le médecin. Il doit s’attacher à retranscrire les paroles exactes du mineur, en les citant entre guillemets, avec les termes employés par ce dernier pour décrire les faits.

Ce signalement doit être adressé par le médecin au procureur de la République, ou au substitut du procureur du tribunal judiciaire du lieu de résidence habituelle du mineur. Une permanence est assurée 24 heures sur 24. Les commissariats de police et brigades de gendarmerie disposent de la liste des magistrats de permanence et de leurs coordonnées téléphoniques.

Un modèle de signalement au procureur de la République  est disponible sur le site internet du Conseil national de l’Ordre des médecins.

Le signalement au juge des enfants n’étant pas mentionné à l’article 226-14 du code pénal, le médecin qui s’adresse à lui ne peut être couvert par les dispositions protectrices de cet article, aux termes desquelles « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi.».
 
2.2    S’agissant des personnes majeures

Lorsque le médecin constate sur une personne majeure des sévices ou privations, laissant présumer que des violences ont été commises, son accord est en principe indispensable pour que le médecin soit autorisé à signaler les sévices en cause au procureur de la République.

Cependant, il existe des situations dans lesquelles il peut être procédé à un signalement, sans l’accord de la personne majeure, lorsque celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ainsi que, dans un cadre bien précis, lorsqu’il s’agit d’une victime de violences conjugales.
 
  • La personne majeure n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique

Lorsque la personne majeure victime de sévices ou de privations n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, le médecin peut adresser un signalement au Procureur, sans son accord.

L’âge ou la maladie ne suffisent pas à établir qu’une personne n’est pas en mesure de se protéger : l’âge, la maladie ou le handicap et leurs conséquences physiques ou psychiques doivent empêcher, ou avoir empêché, la victime de se protéger.

Un modèle de signalement  au procureur de la République est disponible sur le site du Conseil national de l’Ordre des médecins.
 
  • La personne majeure est victime de violences conjugales
Il est rappelé que les violences conjugales sont des violences commises au sein d’un couple, actuel ou séparé, par le conjoint, le concubin, le partenaire d’un pacte civil de solidarité, même sans cohabitation.

La loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales étend les possibilités de signalement des violences conjugales par les médecins, dans un cadre bien précis.

L’article 226-14 du code pénal a ainsi été complété par un 3° prévoyant que l’article 226-13 de ce code réprimant la violation du secret professionnel n'est pas applicable « au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l’article 132-80 [de ce code], lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République ».

La levée du secret médical est possible, si deux conditions sont réunies :

1. lorsque les violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat
et
2. que la victime se trouve sous l'emprise de l’auteur des violences.

Les nouvelles dispositions précisent que le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure, et qu’en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République.

Dans cette situation seulement, l’accord de la victime majeure n’est pas nécessaire pour permettre au médecin de signaler les violences commises au sein du couple, dès lors que la victime est en danger immédiat faisant craindre une issue fatale et qu’elle se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences.

Il appartient au médecin d’apprécier en conscience si ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et si celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences.

Mais il n’a pas à en apporter la preuve. Il lui est toutefois recommandé de mentionner dans le dossier médical de la victime les éléments sur lesquels il s’est fondé.

Afin d’accompagner le médecin dans cette démarche de signalement, des critères d’évaluation du danger immédiat et de l’emprise ainsi qu’un modèle de signalement au procureur de la République  sont disponibles sur le site internet du Conseil national de l’Ordre des médecins.

3 – L’établissement d’un certificat médical attestant de violences, sévices ou privations

Le médecin peut être amené à établir un certificat médical concernant une personne victime de violences, sévices ou privations, à la demande de la victime ou de son représentant légal. En cas de doute sur les constatations à relever, le médecin peut solliciter des avis ou examens complémentaires (radiographies, analyses…). De même, s’il ne s’estime pas suffisamment compétent, il oriente la victime vers une consultation spécialisée (services hospitaliers chargés de l’accueil et de la prise en charge des victimes, par exemple). En rédigeant ce certificat médical, le médecin contribue à accompagner la victime dans ses démarches.

Le médecin doit se montrer particulièrement vigilant et prudent. Le certificat doit se limiter aux constatations du médecin sans se livrer à des interprétations. Il ne se prononce pas sur la réalité des faits, ni sur la responsabilité d’un tiers.
Le médecin est tenu de constater objectivement les lésions et signes après examen médical préalable et écoute de la victime.

En pratique :
  • il consigne avec précision ses constatations : description des lésions (nature, dimension, forme, couleur, siège anatomique précis, etc.) et de l’état psychique de la victime.
  • il peut accompagner sa description de schémas ou de photographies avec l’accord de la victime.
  • il rapporte les dires de la victime sur le mode déclaratif et entre guillemets (« X dit avoir été victime de… ») ;
  • il mentionne les examens prescrits ou avis complémentaires demandés, avec leurs résultats, si ceux-ci sont disponibles ;
  • il indique, quand c’est possible, la durée de l’incapacité totale de travail (ITT) consécutive aux sévices.
Le médecin remet l’original du certificat directement à la personne examinée, et en aucun cas à un tiers. Il en conserve un double dans le dossier de la personne.

Si à l’occasion de son examen, le médecin acquiert la conviction que la personne examinée est victime de sévices ou de privations, il peut, dans les situations et conditions rappelées au point 2, procéder à des signalements.


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note 1 - Article L. 226-2-2 du code de l’action sociale et des familles : « Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant ».