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La santé dans la société de l’information et de la communication

Publié le Mercredi 17 février 2016 Temps de lecture : 8 mn
L’Ordre des médecins a organisé un débat consacré à "La santé dans la société de l’information et de la communication".
Le Conseil national de l’Ordre des médecins a organisé le 16 février un débat consacré à « La santé dans la société de l’information et de la communication », avant la publication, en avril prochain, d’un document de repères déontologiques à destination des médecins.

Nous vivons dans un monde avide d’informations sur tous les sujets, la santé et la médecine n’y échappent pas. Elles y tiennent même une grande place. Les moyens modernes de communication véhiculent sans interruption, en particulier via le web, des informations parfois incertaines, se préoccupant peu de la fiabilité de leurs sources. L’information du grand public se réduit ainsi parfois au scoop journalistique, au buzz sur Internet, à la rumeur sur les réseaux sociaux, au détriment d’informations fiables, validées, analysées, commentées sur des faits objectifs et des critères vérifiables.

Le Conseil national de l’Ordre des médecins, très impliqué sur les questions liées à la e-santé et aux nouvelles pratiques de santé dans le monde actuel, a organisé ce débat pour interroger la façon de traiter les problématiques de santé dans la société de l’information et de la communication, tant la santé se distingue par sa nature et dans les textes de loi.

Après l’ouverture du Débat par le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de L’Ordre des médecins, cinq personnalités venant d’horizons différents ont pu échanger sur les problématiques liées aux conséquences de ce nouvel accès à l’information de santé pour les patients, les médecins et pour la relation patient-médecin ; sur l’apparition de sites internet et d’applications spécialisées et leurs conséquences, en termes notamment de déontologie pour les médecins ; sur les contraintes qui s’imposent aux journalistes et aux annonceurs traitant des problématiques de santé, notamment sur le net, et sur l’exercice de la médecine à l’avenir.
 

Sont intervenus dans le cadre de ce débat :

  • Christine BALAGUÉ, vice-présidente du Conseil national du Numérique
  • Alain de BROCA, praticien hospitalier, philosophe et directeur de l’Espace éthique de Picardie
  • Catherine GRELIER-LENAIN, directrice déontologie de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité
  • Marc PAYET, grand reporteur, journaliste thématique santé au Parisien
  • Jacques LUCAS, vice-président du CNOM, délégué général aux systèmes d’information en santé
En permettant la confrontation de ces différentes expertises, l’Ordre confirme qu’il est aussi un laboratoire d’idées et un lieu privilégié pour l’échange de points de vue.

Le Cnom publiera en avril un document sur les repères déontologiques pour le médecin dans la société de l’information et de la communication et sur la frontière, parfois difficile à tracer et ce notamment sur le web, entre information utile pour le public et publicité pour le médecin.
 

Patrick BOUET, Président du Conseil national de l’Ordre des médecins


« L’Ordre des médecins est largement investi dans la réflexion sur les nouvelles technologies et les nouvelles modalités d’information. Nous estimons qu’il est nécessaire que l’Ordre apparaisse de façon lisible pour tracer des voies qui permettent aux médecins et aux professionnels de savoir où ils en sont par rapport à l’ensemble des sollicitations, des moyens technologiques qui s’offrent à eux.

Un rapport sur l’information et la communication est en cours d’élaboration et cette matinée débat va contribuer à enrichir notre réflexion. Elle permettra au premier vice-Président du Conseil national Jacques Lucas de conduire à terme ce rapport, et contribuera à ce que les médecins y trouvent les voies nécessaires pour pouvoir se réaliser dans leur exercice tout en  restant dans le cadre du contrat déontologique qui est le nôtre et qui a pour objectif de protéger la patient et l’usager de santé
. »

Christine BALAGUÉ, vice-présidente du Conseil national du Numérique


« La santé vit ce que tous les secteurs vivent avec le numérique. Le numérique est notamment un formidable outil de prévention et il est sous-utilisé. Nous avons la capacité de tirer un très grand profit de ces technologies ; il faut trouver le moyen organisationnel de faire bouger les choses.

Le Conseil national du numérique a proposé  la création d’une plate-forme qui labellise l’information santé partagée grâce aux réseaux, mais en co-construction et en adéquation avec ce monde numérique où médecins comme patients sont source d’information.  

Plus largement l'expérience confirme le fait que l'humain revient au cœur de ces dispositifs numériques. Je ne suis donc pas pessimiste sur l’avenir du rôle du médecin.
»

Alain de BROCA, praticien hospitalier, philosophe et directeur de l’Espace éthique de Picardie


« L’information doit changer quelque chose dans la compréhension du monde. Cela veut dire que l’information peut être bonne mais délétère, et c’est là que le soignant intervient, en tant que médiateur pour aider quelqu’un. Celui qui est en souffrance est en attente d’information : comment peut-il changer sa compréhension de cette vie qui est modifiée à cause d’une maladie sans quelqu’un qui l’aide à appréhender la nouvelle donne qu’est sa maladie ou celle de ses proches ?

Je ne suis pas très inquiet pour les médecins du futur. Le numérique est une nouvelle ère, une nouvelle grammaire du regard de l’homme sur lui-même. Mais cela ne peut remplacer l’éducation thérapeutique, faite d’heures d’accompagnement entre soignants et soignés, des heures avant même que la personne n’assume sa maladie, pour que le patient comprenne la maladie dont il souffre. Accompagner le patient qui a osé avouer qu’il est dans cette vulnérabilité d’humain ne passe pas par la e-santé, mais par la patte humaine de la relation clinique. 
»

Catherine GRELIER-LENAIN, directrice déontologie de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité


« Si les médecins ne prennent pas cette place en tant que source d’information qui leur est légitime, elle sera prise par d’autres. Dans les supports de publicité traditionnels, la distinction entre publicité et éditorial est effective depuis longtemps, mais des difficultés demeurent dans le cas d’internet, et dans le cas des applis santé nous sommes totalement démunis. 

L’ARPP travaille sur l’éthique depuis 80 ans et on a appris de manière essentielle que l’on ne peut pas faire de l’éthique tout seul.. Il faut avoir le courage, l’humilité, l’ouverture d’esprit, l’intelligence de s’ouvrir à la société, d’accepter le débat avec la société civile pour entendre leurs souhaits, leurs demandes, et les associer au contrôle des règles. 
»


Marc PAYET, grand reporter, journaliste thématique santé au Parisien


« Je ne suis pas sûr que la santé soit le seul domaine concerné par cette problématique. Les journalistes qui s’occupent des questions de santé ont des réflexions en interne ou en externe sur la façon dont on traite ces sujets, mais nous n’avons pas à nous positionner : ce n’est ni bien ni mal, c’est une évolution et il faut faire avec.

Je m’interroge : quel problème cela pose-t-il ? Est-ce un problème de santé publique ? C’est aux médecins de s’exprimer à ce sujet, mais il semble que ces évolutions interrogent avant tout la profession, qui voit notamment sa parole en tant que référent et autorité morale, y compris sur ses patients, désacralisée. Tout le monde est d'accord pour dire que les applis sont là, que le numérique est là. C'est une évidence. Le plus important est de prendre le train en marche, notamment dans la formation des médecins. 

Il y a consensus sur le fait que c’est un enjeu majeur, mais a priori les médecins, qui ont une formation scientifique poussée, sont les mieux placés pour faire face aux nouvelles technologies. Ce n’est pas un logiciel qui prescrit et heureusement le rôle du praticien reste important. C’est un chantier qui est devant vous comme devant d’autres professions.
»

Jacques LUCAS, vice-président du CNOM, délégué général aux systèmes d’information en santé  


« Le médecin est considéré dans notre société comme étant la première source fiable d’information en santé. Comment alors peut-on par un code et par l’action des chambres disciplinaires qui disent le droit déontologique, lui interdire de produire de l’information pertinente au prétexte qu’il ferait de la publicité ? Par ailleurs, les risques de la fausse information ou de la mauvaise information que peut trouver le patient sont souvent mis en avant, mais il faut voir également tous les avantages que présentent pour la personne une éducation à la santé.

Le Conseil de l’Ordre appelle depuis 5 ou 6 ans à une gouvernance de la e-santé qui n’existe pas en France. Cette gouvernance ne doit pas être productrice de textes, mais plutôt s’orienter vers une régulation par la co-construction qui associera les médecins, les professionnels de santé, le monde du numérique, les industriels et la puissance publique. Il n’est pas question de dépouiller l’État de son rôle.

Il faut aussi intégrer le numérique dans l’organisation des soins sur le territoire, comme l’ont appelé de leurs vœux 70% de nos confrères au terme de la Grande consultation que nous avons menée. A ce titre, nous avons un gros devoir de pédagogie, en tant qu’Ordre, vis-à-vis du corps professionnel. 

Ce débat enrichira grandement le document que nous publierons au mois d’avril.
».