Au service des médecins dans l’intérêt des patients

Lettre ouverte à Marisol Touraine

Publié le Lundi 19 janvier 2015 Temps de lecture : 5 mn
Lettre du Docteur Patrick Bouet à la ministre des Affaires sociale et de la Santé, Marisol Touraine, publiée dans le Figaro du 16 janvier 2015.
Madame la Ministre,

L’année 2015 vient de débuter sous de terribles auspices. Face à cette barbarie, éprouvé comme l'ensemble de nos concitoyens, l’Ordre des Médecins a témoigné de sa profonde tristesse et de son indignation, en observant une minute de silence lors de la journée de deuil national et en participant à la marche républicaine. Nous sommes aux côtés des pouvoirs publics dans cette épreuve et nous nous associons pleinement au rassemblement autour de nos valeurs de démocratie et de liberté d’expression.

Pendant ces événements dramatiques, face aux violences et à la mort, des médecins ont été une fois de plus présents parce que c'est leur devoir et leur mission. En sauvant des vies et en prenant en charge les souffrances secondaires à ces drames, les médecins ont joué le rôle fondamental qui est le leur. Ce rôle, les médecins l’assument de façon singulière au cœur de la population et ce, malgré les difficultés. Au-delà de ce drame, c’est par leur indépendance, leur dévouement et leur compétence que les médecins assurent leur responsabilité. Les médecins sont au cœur de notre système d’organisation des soins. Sans médecin, il n’y a pas de système de santé.

Vous avez déposé un projet de loi qui soulève une grande inquiétude et a transformé l’exaspération des médecins en colère. Si des axes positifs sont inclus dans ce texte, il n'apporte pas les réponses appropriées aux problèmes des médecins et aux attentes des patients. Surtout, il porte dans son esprit la philosophie qui conduit à une médecine réglementée et administrée. Cette intention met en péril le fondement de notre système de soins sur l’indépendance de l’exercice médical. C est pourtant ce principe qui fait l’excellence reconnue, depuis toujours et par tous, du système de santé français. Cette réforme, que vous dites « faite pour les patients », ne pourra pour autant se faire « sans les médecins ». 

Ce discours nous l'avons tenu en de nombreuses occasions sans avoir le sentiment qu’il ait été totalement entendu.

Il est temps, Madame la Ministre, au-delà du dialogue bilatéral, d’entamer la discussion avec l’ensemble des acteurs, notamment les médecins, qui se sentent depuis plusieurs années incompris par les pouvoirs publics et n'en peuvent plus des complexités et des tracasseries.  Il est temps de rassembler toutes les structures représentatives professionnelles, l’Ordre des médecins, l’ensemble des acteurs, dans un scénario de sortie de crise que nous vous proposons depuis septembre 2014.

Face à ce sentiment d'un dialogue inlassablement reporté, l’Ordre des médecins en appelle solennellement à l’ouverture d’un vrai travail de réécriture de ce texte et, au-delà, à l'ouverture d'un véritable Grenelle de la Santé. Car tout autant que l’environnement, la santé et notre système solidaire de protection sociale le méritent.

Nous l’avons dit et nous le répétons, il est nécessaire, sur la base de nos propositions, dont vous avez pris acte, de réécrire ce projet sur plusieurs aspects essentiels : la gouvernance en régions, les contenus métiers,  l’équilibre entre secteurs d’exercice, le service public, le partage des responsabilités entre établissements de santé, la présence des usagers dans la gouvernance du système et des médecins dans la gouvernance des établissements, et enfin la mise en œuvre progressive du tiers payant assortie de garanties de simplicité pour les professionnels. Sur ce dernier point, nous plaidons pour un tiers payant non obligatoire, expérimenté, sur la base proposée par l’Ordre pour les affections de longue durée.

Sans cela, votre projet de loi manquera son ambition et échouera. Pire, il sera l’instrument d’une fracture profonde entre l’Etat et les médecins.

Ouvrez cette concertation, réunissez tous les acteurs dans un travail commun, sous votre autorité, et vous sortirez de cette crise. Ne persistez pas dans le choix tactique de traiter par tronçons votre texte.  S’il est un tout comme vous le rappelez il doit être revu de façon globale. Persister serait une erreur profonde de méthode. Les médecins sur le terrain attendent que tous les points qui font débat soient abordés lors d’une concertation globale sur les grands principes du projet de loi.

Nous vous l’avons dit, chaque jour qui passe est un jour perdu et nous avons déjà perdu 4 mois. Nous vous demandons donc aujourd’hui de mettre en œuvre sans tarder la concertation dans un calendrier réaliste qui permette d’aboutir à une vraie réécriture du texte avant son examen à l’Assemblée Nationale. L’échéance d’avril apparaît aujourd’hui trop proche.

L’Ordre des médecins est disponible pour construire ce projet que j'appelle de mes vœux.

L’année 2015 ne doit pas être une année d’affrontements dont nous sommes sûrs qu’ils  ne sont ni souhaitables, ni souhaités par les acteurs.

En espérant vivement que cette lettre ouverte qui vous est adressée par porteur et rendue publique aura retenu votre attention, je vous prie de croire, Madame la Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, à l’assurance de ma haute considération.

Docteur Patrick BOUET