Le webzine de l'Ordre des médecins - Les clés de l'information santé

WebzineSanté

#13
Juillet 2020

Les anciens numéros

Lucas
Dr Patrick Bouet
Président du Conseil national de l’Ordre des médecins
« Lutter contre les inégalités sociales de santé, c’est impérativement améliorer et garantir l’accès aux soins. »

« La France est l’un des pays d’Europe où les inégalités sociales de santé sont de plus en plus marquées. Et si l’espérance de vie augmente, elle n’est pas de même qualité selon les catégories socio-professionnelles. Notre système de santé est performant, mais il n’offre pas les mêmes chances à chacun de nos citoyens.

Lutter contre les inégalités sociales de santé, c’est impérativement améliorer et garantir l’accès aux soins.

L’Ordre des médecins est fortement mobilisé sur ce problème. Lors de l’élaboration de la loi Ma santé 2022, nous avons travaillé auprès des pouvoirs publics pour défendre un système de santé égalitaire, qui garantirait à chaque français une prise en charge et des soins de qualité.
Un système de santé qui n’exclut pas les plus faibles, les plus fragiles et les plus précaires. Un système de santé basé sur la Solidarité Nationale.

Lutter contre les inégalités sociales de santé, c’est ensuite améliorer les actions de prévention primaire, et de dépistage.

Rappelons sans cesse la place essentielle des médecins comme acteurs de Santé Publique, la crise épidémique du coronavirus l’a pleinement démontré. »

Espérance de vie
FemmesHommes
88 ans pour les cadres
84 ans pour les cadres
84,8 ans pour les ouvirères
77,6 ans pour les ouvriers
Les maladies chroniques touchent :
36,4% des Français sans diplôtme
31,9% des titulaires d’un BEPC, CAP, BEP
24,3% des titulaires d’un diplôme supérieur à bac + 2
Des inégalités dans les déterminants de santé
Plus d’une heure devant les écrans en classe de maternelle :
59% chez les enfants d’ouvriers
25,4% chez les enfants de cadres
Mange au moins 5 fruits et légumes par jour :
11% chez des personnes dans le quintile le moins favorisé
18% dans le quintile le plus favorisé
Pratique une activité physique régulière :
67% dans le quintile le plus favorisé
30% chez des personnes dans le quintile le moins favorisé
Les inégalités sont présentes dès le plus jeune âge
72%
des maladies professionnelles touchent des ouvriers
Des inégalités de recours aux soins


En grande section de maternelle, 5,8 % des enfants d’ouvriers souffrent d’obésité,
contre 1,3 % pour les enfants de cadres.
Dès 5-6 ans, 31 % des enfants d’ouvriers ont au moins une dent cariée
contre 8 % des enfants de cadres.

56 000 maladies professionnelles ont été reconnues en 2012.
Parmi elles, 72 % ont touché des ouvriers et 23% des employés.
43% des ouvriers et 25% des employés de commerces sont exposés à des facteurs de pénibilité.

4% des cadres souffrent de troubles de la vision non corrigés, contre 9% des ouvriers.
Des soins de plus en plus coûteux ?

45% des Français déclarent avoir déjà renoncé à (ou reporté) des soins pour des raisons financières.

58% des Français considèrent que leur reste à charge a augmenté ces dernières années.

67% des Français disent être confrontés à des dépassements d'honoraires.

Les populations précaires ont-elles été plus touchées par le Covid-19 ?

Des cours de psychologie médicale sont proposés lors du deuxième cycle des études de médecine.
Le nombre d’heures et les méthodes utilisées varient selon les facultés. Le plus souvent, il s’agit d’enseignements optionnels et théoriques. De plus en plus, les universités proposent également des modules pratiques utilisant le théâtre, des serious games, des simulations de consultation…

C’est ce que laissent penser les chiffres de la surmortalité en Ile-de-France pendant la crise sanitaire. Dans une étude publiée en avril, l’observatoire régional de santé d’Ile-de-France constate que le nombre de décès domiciliés entre le 1er mars et le 10 avril 2020 rapporté aux décès observés sur la même période en 2019, indique une surmortalité particulièrement marquée en Seine Saint-Denis (+ 118,4 %), département très touché par le mal-logement et la pauvreté.


« Le rappel des inégalités territoriales en termes d’urbanisation, de densité de population, de conditions de logements, de caractéristiques démographiques et sociales des ménages, d’état de santé des populations mais aussi d’exposition professionnelle laisse penser que des analyses de corrélations entre vulnérabilité des populations face au Covid-19 et éléments du contexte de vie, menées à des échelles géographiques fines, seraient indispensables pour guider au mieux l’action publique.» , conclut l’ORS.



Source : https://www.ors-idf.org/fileadmin/DataStorageKit/ORS/Etudes/2020/covid_19_ISS/ORS_FOCUS_ISS_covid_vf_2020.pdf

Des restes à charge trop élevés pour certains soins

L’accès aux soins est parfois limité par des obstacles financiers. Selon un sondage BVA réalisé pour France Assos Santé en 2018, 64 % des Français ont déjà renoncé à se soigner, dont près de la moitié pour des raisons financières. Bien qu’encadrées, les mutuelles proposent des couvertures et des forfaits inégalitaires. Le reste à charge est élevé pour les consultations chez certains médecins pratiquant les dépassements d’honoraires. En secteur 2, le taux de dépassement moyen s’élevait en 2016 à plus de 33 % des honoraires malgré les mesures d’encadrement mises en place depuis 2011. Enfin, le renoncement est particulièrement marqué dans certaines spécialités et pour certains dispositifs de santé très onéreux.

Les soins dentaires. Dans une étude publiée en novembre 2018, l’Ifop constate une dégradation de la santé bucco-dentaire des Français. À peine plus d’un français sur deux (55 %) se rend au moins une fois par an chez un dentiste. Et le principal motif de ce renoncement aux soins est financier : 45 % des Français interrogés disent avoir renoncé à des soins dentaires à cause de leur coût. Le prix des prothèses, souvent peu remboursées, est pointé du doigt. À noter aussi que ces inégalités sont présentes dès le plus jeune âge. Selon les chiffres du ministère de la Santé, en CM2, 40 % des enfants d’ouvriers ont déjà eu une dent cariée. C’est 1,5 fois plus que ceux des cadres.

Les soins ophtalmologiques. C’est la deuxième spécialité la plus touchée par le renoncement aux soins, après les soins dentaires. 21 % des Français disent ne pas consulter d’ophtalmologues et 41 % renoncent à s’équiper ou à acheter des lunettes.

Les soins auditifs. 2,1 millions de Français se passeraient de prothèses auditives en raison de leur coût, soit un taux de renoncement de 58 %. Il faut en effet un peu plus de 3 000 euros pour appareiller deux oreilles et, après remboursement de la Sécurité sociale et de la mutuelle, le reste à charge revient en moyenne à 1 400 euros. Un coût trop élevé pour une grande partie des Français.

Face à ces constats, l’Assurance maladie a mis en place, depuis le 1er janvier 2020, le 100 % Santé. Un ensemble de prestations de soins et d’équipements sont identifiées dans un panier spécifique pour trois postes : audiologie, optique et dentaire. Les assurés qui choisissent un soin de ce panier seront remboursés à 100 %.

Des facteurs de risque plus marqués chez certaines populations

Quatre cancers sur 10 sont liés au mode de vie et pourraient être évités. Le tabagisme, l’alcool et l’obésité sont les principaux facteurs de risque de cancer, mais aussi de maladie cardio-vasculaire, de diabète… Les populations les plus défavorisées, moins informées sur ces dangers, consomment plus d’alcool, de tabac et ont une moins bonne alimentation.

L’obésité. D’après Santé publique France, 1 homme non diplômé sur 5 souffre d’obésité, contre 1 sur 9 pour ceux ayant au moins le baccalauréat. En 2001, le gouvernement a mis en place le Programme national nutrition santé (PNNS). Ce dernier vise à intensifier la prévention contre le surpoids avec des messages de santé publique, à inciter à une meilleure alimentation et à promouvoir l’activité physique. Des initiatives comme le site manger-bouger.fr ou le « sport sur ordonnance » ont ainsi été mises en place. La quatrième version de ce programme a été lancée en 2019.

Le tabagisme et l’alcoolisme. Alors que le nombre de fumeurs diminue globalement en France, il reste très élevé parmi les ouvriers et les demandeurs d’emploi. Selon le Baromètre santé 2018 de Santé publique France, 28,2 % des non-diplômés fument tandis qu’ils ne sont que 19,4 % parmi ceux ayant le bac ou plus. Un véritable facteur de risque quand on sait que le tabac est responsable de 1 cancer sur 3. Des inégalités qui se retrouvent également dans la consommation d’alcool, elle aussi largement mise en cause dans le développement de cancers et de maladies cardio-vasculaires.

Des inégalités de prise en charge

Tous les Français ne sont pas égaux face aux soins. Selon une étude publiée en 2019 par la société de conseil Medicine4i et réalisée par Harris Interactive, les ouvriers consultent moins les médecins spécialistes que les cadres et professions libérales. Entre 2015 et 2018, seuls 16 % des ouvriers sondés ont vu un cardiologue, contre 24 % des cadres. Par ailleurs, Les inégalités territoriales et les délais d’attente pour un rendez-vous chez un spécialiste affectent davantage les populations les plus en difficulté. Alors qu’un ouvrier attend 128 jours pour voir un ophtalmologue, un cadre, lui, attend en moyenne 78 jours. Les populations plus aisées peuvent en effet se permettre d’aller vers des spécialistes pratiquant des dépassements d’honoraires importants et ont accès à un plus grand choix de praticiens.

Les plus pauvres ont aussi la sensation d’avoir moins accès aux traitements innovants et d’être moins bien soignés. Ce constat est particulièrement vrai dans le cas du cancer. Selon l’Observatoire Cancer de l'Institut Curie, 7 Français sur 10 (69 %) estiment qu’il existe aujourd’hui des inégalités face au cancer, notamment dans l’accès au dépistage ou dans la prise en charge médicale. Et plus d’un Français sur deux déclare ne pas disposer d’information suffisante sur le dépistage, la prévention et la prise en charge des cancers.



Les inégalités sociales de santé perdurent en France. Améliorer l’accès aux soins ne suffit pas à les réduire. Les politiques doivent cibler les conditions de vie et les personnes les plus fragiles. Propos d’experts.
Jean-Paul Moatti
Jean-Paul Moatti
professeur émérite, université d’Aix-Marseille (AMU), économiste de la santé
Pr Pierre Lombrail
Pr Pierre Lombrail
directeur adjoint du laboratoire Éducations et pratiques de santé, responsable du service de santé publique des Hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis (AP-HP)
Jérémy Geeraert
Jérémy Geeraert
sociologue, Institut d’ethnologie européenne de l’université Humboldt (Berlin)
Comment se caractérisent les inégalités sociales de santé ?
Jean-Paul Moatti
Jean-Paul Moatti / Dans tous les pays du monde, y compris dans les pays européens, quelle que soit la variable de caractérisation sociale utilisée – catégorie socioprofessionnelle, niveau de revenus ou d’éducation –, nous constatons une inégalité sociale face à la mort. En France, l’espérance de vie, à 35 ans, a globalement augmenté, mais l’écart persiste depuis les années 1970 entre un cadre supérieur et un ouvrier (un peu plus de 6 ans chez les hommes et de 3 chez les femmes). Parler d’inégalités face à la mort implique de constater une différence mais aussi de porter un jugement social pour la qualifier d’inégalité. La principale différence en espérance de vie demeure le genre : les femmes ont une espérance de vie plus grande que les hommes mais on ne parle pas d’inégalité dans ce cas. En Europe, les phénomènes d’inégalité sociale face à la mort sont présents dans tous les pays. En revanche, les pathologies qui sont les principales causes de ce différentiel ne sont pas identiques. Par exemple, en Grande-Bretagne, il s’agit des maladies cardio-vasculaires, alors qu’en France ce sont plutôt les cancers.

Pr Pierre Lombrail
Pr Pierre Lombrail / Les inégalités de santé sont avant tout sociales et territoriales. Nous avons deux effets : un de contexte, qui concerne le territoire, et un de composition, qui concerne la population qui y habite. Certains territoires ruraux et les quartiers dits prioritaires concentrent à la fois des habitants plus fragiles socialement en termes de conditions de vie et de travail, et une offre de services moins dense, qu’il s’agisse de guichets de poste ou d’assurance maladie comme d’offre sanitaire ou de commerces alimentaires. Ainsi, les populations qui habitent dans les quartiers sensibles ont un état de santé plus dégradé et une protection sociale moins favorable que la moyenne. Elles ont également moins accès aux services de santé.
Jérémy Geeraert
Jérémy Geeraert / Les inégalités sociales dans le domaine de la santé concernent les différents groupes sociaux. Elles sont le résultat de toutes les autres inégalités sociales qui existent dans la société. Plusieurs facteurs jouent. La couverture sociale est un élément, mais nous avons aussi toutes les conditions de vie. Le logement : répond-il par exemple aux normes sanitaires ? L’alimentation : les catégories socioprofessionnelles (CSP) les plus élevées ont les moyens de manger de façon équilibrée. Les conditions de travail : les études montrent que les personnes qui font un travail physique et pénible meurent plus tôt. Les éléments culturels interviennent également dans les différences sociales en termes d’alimentation, de tabagisme, de consommation d’alcool et d’activité physique. Tous ces effets se cumulent durant toute la vie des personnes.
Pourquoi ces inégalités perdurent-elles ?
Jean-Paul Moatti
Jean-Paul Moatti / La situation est relativement stable en France. En fait, les déterminants de ces inégalités se situent en amont du système de soins. C’est très clair dans le cas du cancer. Les ouvriers meurent plus de cancer, car le diagnostic est plus tardif et les facteurs de risque (alcool, tabac, nutrition) plus fréquents dans ce groupe. Ensuite, quel que soit le cancer, lorsque la prise en charge par le système de soins se déclenche, il n’y a pas de différence dans la probabilité de survie entre catégories sociales. Notre système de soins garantit l’égalité devant la maladie même si des différences géographiques peuvent exister selon l’efficacité de la filière de soins. Ce constat souligne la qualité de notre système de soins et de protection sociale, mais cela ne doit pas l’exonérer : si nous avions plus de prévention et de dépistages, et plus de prise en compte des inégalités et des différences de comportement, nous aurions des marges de progression pour les plus défavorisés.
Pr Pierre Lombrail
Pr Pierre Lombrail / Les réponses apportées concernent l’accès aux soins « en aval » alors que la question relève pour une grande partie de déterminants sociaux « en amont » des problèmes de santé. En règle générale, au-delà des problèmes d’accès aux soins, les difficultés sont d’ordre social : logement (dégradé, surpeuplé ou mal chauffé), exposition à la pollution, chômage, pénibilité ou dangerosité du travail (l’exposition aux produits chimiques concerne encore un tiers des salariés du privé), etc. La Puma (protection universelle maladie) et la couverture sociale solidaire sont des progrès à saluer mais qui ne suffisent pas à réduire les inégalités de santé. Par ailleurs, les déserts médicaux compliquent évidemment l’accès aux soins, tout comme les processus de ségrégation spatiale. Un Parisien qui n’a pas d’accès immédiat à un médecin, notamment spécialiste en secteur 1, peut traverser la capitale pour une consultation ; la situation est beaucoup plus compliquée pour une maman seule avec un enfant asthmatique, qui habite une commune populaire mal desservie par les transports publics et doit se rendre dans un hôpital pédiatrique en centre-ville. Les handicaps se multiplient car il faut aussi tenir compte, en sus des difficultés financières, de la distance culturelle ou sociale.
Jérémy Geeraert
Jérémy Geeraert / Les inégalités sociales de santé ont tendance à se réduire depuis le XIXe siècle. Les conditions de vie se sont globalement améliorées et plus de personnes ont intégré les classes moyennes. Cette évolution est due en grande partie aux actions de l’État social comme la création de la Sécurité sociale après la Seconde Guerre mondiale, puis de la couverture maladie universelle (CMU) en 1999. Cependant, des facteurs aggravent ces inégalités sociales de santé. Il s’agit des problèmes d’accès aux soins, mais aussi d’accès aux droits. Par exemple, les conditions d’entrée des étrangers en situation irrégulière dans le dispositif de couverture maladie se sont complexifiées depuis les années 1990. Dans le même temps, les restrictions budgétaires dans les hôpitaux ainsi qu’à l’Assurance maladie ont conduit à une réduction du personnel. Or, les personnes en difficulté ont besoin de plus d’explications et donc de temps de la part de ces personnels.
Quelles sont les solutions pour réduire ces inégalités ?
Jean-Paul Moatti
Jean-Paul Moatti / Il existe une alternative. Améliore-t-on globalement les services pour tous, et cette politique bénéficie également aux populations les plus défavorisées ? Ou bien cible-t-on des populations sur des critères précis ? Mon point de vue est qu’il faut concilier les deux du mieux possible : poursuivre une politique générale d’accès aux soins et mieux coordonner les politiques ciblées. Par exemple, la ville de Birmingham, en Angleterre, a mené une politique systématique qui donne la priorité aux familles monoparentales. Le développement cognitif de ces enfants, qui était très éloigné de la moyenne nationale, égale aujourd’hui le niveau des enfants des quartiers les plus riches de Londres. La période qui va de la conception à la fin de l’adolescence a des effets décisifs sur tout le cycle de vie. Les politiques publiques, non seulement de santé mais aussi sociales et familiales, doivent privilégier le suivi pendant la grossesse, l’enfance et l’adolescence. Nous pouvons vraiment faire plus dans ce domaine.
Pr Pierre Lombrail
Pr Pierre Lombrail / La solution est politique et « intersectorielle », avec la participation des populations concernées. Une population particulièrement vulnérable devrait être privilégiée : les enfants. Lutter contre la pauvreté ou contre l’échec scolaire et favoriser la socialisation précoce sont essentiels pour la santé de l’enfant et du futur adulte. Plus largement, préserver la cohésion sociale, lutter contre toute forme de ségrégation/discrimination dans l’accès au logement ou à l’emploi participe du même effort. Un point pour conclure : la médecine a un rôle social et de plaidoyer à réinvestir. Les médecins doivent, dans leur pratique médicale, prendre en compte ces inégalités pour soigner leurs patients au mieux en fonction de leurs conditions de vie et de travail. Mais ils peuvent aussi contribuer à les améliorer en travaillant avec les élus, les habitants et les patients sur un territoire de vie.
Jérémy Geeraert
Jérémy Geeraert / La première solution est de favoriser les mécanismes de redistribution sociale et de protection sociale. Il faut aussi améliorer les conditions de travail et la sécurité dans les entreprises, ainsi que la santé des travailleurs. Des politiques doivent cibler les groupes sociaux les plus fragilisés, étrangers, personnes sans domicile fixe, personnes en situation de handicap, afin de réduire les inégalités sociales de santé. En parallèle, il faudrait réinjecter de l’argent dans les hôpitaux publics et les caisses d’assurance maladie. Cela permettrait une meilleure prise en charge des personnes les plus défavorisées.
L’association Médecins sans frontières (MSF) a renforcé ses cliniques mobiles pour accueillir les personnes précaires lors de la crise sanitaire. Le Dr Bastien Mollo, responsable des activités cliniques mobiles et centres Covid+ chez MSF, et Émilie Fourrey, coordinatrice médicale Covid-19, reviennent sur ces actions.
Dr Bastien Mollo
Dr Bastien Mollo
responsable des activités cliniques mobiles et Centres Covid+ chez MSF
Emilie Fourrey
Emilie Fourrey
coordinatrice médicale Covid-19, reviennent sur ces actions
Quelles ont été les actions de MSF durant la crise sanitaire ?
Émilie Fourrey
Émilie Fourrey / MSF a déjà un programme de cliniques mobiles en Île-de-France afin d’intervenir auprès de certaines populations, notamment les migrants et les mineurs étrangers isolés, c’est-à-dire non accompagnés. Pour répondre à l’épidémie de Covid-19, nous avons renforcé ce programme à Paris et nous l’avons élargi aux sans-abri. Par ailleurs, l’Agence régionale de santé d’Île-de-France nous a sollicités pour intervenir auprès des populations précaires, dans des structures d’hébergement d’urgence mises en place pour le Covid et des structures d’hébergement qui existent déjà comme les foyers de travailleurs migrants ou d’autres lieux tels que les squats. Nous avons donc mis en place trois ou quatre équipes mobiles qui étaient sur le terrain jusqu’à cinq fois par semaine. Nous avons réalisé plus d’une centaine d’interventions sur environ soixante sites.
Dr Bastien Mollo
Dr Bastien Mollo / Chaque équipe mobile était constituée d’un médecin, d’une infirmière et d’un logisticien. Au début de la crise, nous avons travaillé en priorité sur le renforcement et l’adaptation des mesures d’hygiène et des gestes barrières. Pendant le confinement, nous avons axé nos interventions sur les mesures les plus pertinentes à mettre en œuvre, par exemple dans les gymnases qui accueillaient des personnes sans domicile fixe et des migrants. Enfin, nous avions un rôle de conseil pour des soins Covid et non Covid. Nous avons également fourni une assistance médicale à deux centres Covid+ en région parisienne afin d’héberger et isoler les personnes précaires infectées.
Émilie Fourrey
Émilie Fourrey / MSF est aussi intervenu à l'hôpital Henri-Mondor, à Créteil, pour désengorger le service Covid post-réanimation ; à Reims, en installant des tentes gonflables pour augmenter les capacités de réanimation du CHU ; et à Marseille, pour des actions de dépistage des populations précaires. Nous avons encore des interventions dans les Ehpad. Nous leur apportons un soutien pour les consultations et les soins palliatifs.
Comment avez-vous vécu cette période ?
Dr Bastien Mollo
Dr Bastien Mollo / C’était très mouvementé ! Nous avions des recommandations qui changeaient toutes les 48 heures, calquées sur celles des Ehpad et qui n’étaient pas adaptées à la réalité du terrain. Nous manquions de masques et de tests. En fait, la situation a évolué au fil des semaines en fonction des capacités et de la réalité de l’épidémie. Nous avons dû être très flexibles.
Émilie Fourrey
Émilie Fourrey / MSF a fait un plaidoyer politique pour une mise à l’abri des personnes précaires, sachant que les logements collectifs n’étaient pas adaptés.
Comment ces populations précaires ont-elles vécu la crise sanitaire ?
Dr Bastien Mollo
Dr Bastien Mollo / Elles étaient bien au courant de ce qu’était le Covid-19 et se sentaient tout à fait concernées par l’épidémie. Elles ont aussi apprécié d’être mises à l’abri et d’avoir un toit. Il y avait néanmoins de l’angoisse due à la crise et au confinement. Nous lançons d’ailleurs une enquête auprès de 500 personnes pour mieux connaître leur perception de cette crise. Les résultats devraient être rendus publics en juillet.
L’épidémie de Covid-19 a-t-elle exacerbé les inégalités sociales de santé ?
Émilie Fourrey
Émilie Fourrey / Les populations précaires ont déjà des difficultés à accéder aux soins. Avec l’épidémie, elles se sont senties encore plus marginalisées car leur accès aux soins et aux aides sociales a été réduit. La crise sanitaire a aussi mis en exergue le manque d’orientation de ces personnes. En revanche, elle nous a permis de modéliser nos interventions mobiles. Nous voulons capitaliser sur cette expérience afin de pouvoir proposer des interventions et des actions concrètes et pertinentes.
Bastien Mollo
Dr Bastien Mollo / Notre objectif est la prévention. Nous ne voulons pas nous substituer au système de soins mais être le premier maillon de la chaîne. Bien orienter le patient en fonction de ses symptômes est plus efficace qu’une consultation « one shot » que nous pouvons proposer. Le développement de permanences d’accès aux soins de santé (PASS) en ambulatoire peut être un levier formidable. Ces structures sont les plus pertinentes pour les personnes sans domicile fixe mais aussi pour les bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire ou de l’Aide médicale d’État.

Dr Jean-Sébastien Cadwallader
« Notre rôle est d’écouter et de tendre une oreille bienveillante »
Dr Jean-Sébastien Cadwallader, médecin au centre de santé à Aubervilliers.
« Notre rôle est d’écouter et de tendre une oreille bienveillante »

Aubervilliers est la cinquième ville la plus pauvre de France. Quelles sont les conséquences sur l’accès aux soins ? Une partie de la population résidant à Aubervilliers ne peut pas accéder aux soins, notamment à cause de freins économiques, mais aussi d’un manque de connaissances de ces populations sur le fonctionnement du système de santé. Depuis que je travaille dans ce centre de soins, la situation s’est dégradée. Il y a tout d’abord eu l’arrivée de réfugiés et de migrants en situation de grande précarité. Mais il y a aussi des personnes déjà présentes sur le territoire avec des revenus faibles et qui chutent rapidement. Une femme que je connais depuis sept ans va aujourd’hui se retrouver à la rue. Nous nous sentons impuissants devant ces situations.

Comment lutter contre le renoncement aux soins de ces populations ? Nous faisons face à de nombreuses personnes qui n’ont pas de couverture sociale. Le département de Seine-Saint-Denis a mis en place depuis plusieurs années la permanence d’accès aux soins de santé (Pass), qui prend en charge l’intégralité des soins. Nous avons plusieurs structures dans le département, comme à Aubervilliers ou à Montreuil. Nous avons aussi des accords avec les pharmacies du secteur pour que les médicaments soient pris en charge. Mais nous devons aussi travailler sur la santé communautaire en allant au plus près des populations qui sont éloignées des services de soins, comme les lieux d’habitation ou les foyers de migrants.

Quel doit être le rôle des médecins dans les zones où l’accès aux soins est difficile ? Le premier rôle est simplement d’écouter et de tendre une oreille bienveillante, sans réponse négative. Nous devons promouvoir un message de renforcement positif en disant : « Notre porte est ouverte ». À Aubervilliers, les médecins doivent aussi s’adapter à la situation et répondre aux problématiques locales comme lutter contre les addictions, la ville étant une plaque tournante du trafic de drogue.

Aubervilliers est classée « zone fragile » en matière d’accès à un médecin généraliste, avec seulement 59 médecins pour 100 000 habitants. Comment faire pour résorber cette situation ? La majorité de nos collègues qui sont partis à la retraite ne sont pas remplacés. Pour avoir une bonne couverture de soins, il faudrait avoir 1 médecin pour 800 habitants dans une structure pluridisciplinaire, mais nous en sommes loin. Il faut garder à l’esprit que la santé est un droit, et non une charge. C’est pour cela que je crois que le centre municipal de santé, comme celui qui existe à Aubervilliers, est une réponse pour l’accès aux soins. La municipalité gère l’accès aux soins avec une obligation de tiers payant. C’est un moyen de ramener dans le système de santé ceux qui en étaient éloignés.

Dr Olivier Babinet
« PMI : une offre pour les publics les plus vulnérables »
Dr Olivier Babinet,directeur de la santé des Yvelines, en charge des services de protection maternelle et infantile (PMI).
« PMI : une offre pour les publics les plus vulnérables »

En quoi consiste le service itinérant de PMI que vous avez mis en place ? Le département des Yvelines a adopté un nouveau projet de service pour la protection maternelle infantile (PMI), qui s’est notamment traduit notamment par une reconfiguration et une modernisation des centres de PMI, lesquels sont aujourd’hui au nombre de 23 sur l’ensemble du département. Il y a aussi la volonté de créer un service itinérant dans les zones rurales. Lancé en janvier 2017, le bus PMI vient de fêter ses trois ans d’existence. Quelque 12 communes du territoire sont desservies. Il ne faut pas oublier qu’un nouveau-né doit être ausculté mensuellement de sa naissance à ses 6 mois, sans compter tous les vaccins à effectuer durant l’enfance. L’équipe embarquée se compose d’un chauffeur, d’un médecin et d’une infirmière puéricultrice. Le véhicule dispose d’une connexion Internet, en particulier pour le dossier patient informatisé. Les rendez-vous sont pris selon un planning établi à l’avance commune par commune. Pour les enfants de 0-6 ans des zones rurales et leurs parents, le bus PMI apporte une réponse à la question majeure de la désertification médicale, grâce à la mise en place de permanences médicales et infirmières dans les zones rurales.

En quoi les services de PMI sont essentiels dans la lutte contre les inégalités de santé ? Les examens en PMI ont pour mission le suivi de la santé, de la croissance et du développement psychomoteur et affectif de l’enfant jusqu’à l’âge de 6 ans révolus. Les vaccinations y sont gratuites. Les centres PMI organisent également le bilan de santé en écoles maternelles auprès des enfants de 4 ans. Près d’un enfant de 0-2 ans sur quatre du département des Yvelines est suivi par la PMI. Notre objectif n’est pas de rendre un service universel, mais de privilégier l’offre pour les publics les plus vulnérables, en particulier les plus jeunes enfants.

Comment est composé votre public ? Combien de personnes voyez-vous ? Le bus PMI a permis, en trois ans, de réaliser près de 4 500 actes, aussi bien des consultations, des soins ou des vaccinations, sur près de 1 300 enfants de moins de 6 ans. Soucieux de préserver le service public dans les zones rurales mais aussi dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), le département prévoit un second bus PMI d’ici à fin 2020.

Dr Claire Georges-Tarragano
« Aborder le patient dans sa globalité, sa complexité, son humanité »
Dr Claire Georges-Tarragano, Pass hôpital Saint-Louis, AP-HP.
« Aborder le patient dans sa globalité, sa complexité, son humanité »

Que sont les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) ? Les PASS sont des lieux de consultation dans les hôpitaux publics où intervient une équipe pluriprofessionnelle : médecin généraliste, psychiatre, psychologue, infirmière, assistante sociale. L’objectif est d’offrir un accès aux soins de qualité aux personnes en situation de précarité et d’exclusion sociale, qu’ils soient migrants, personnes à la rue ou travailleurs pauvres. Le plus souvent, ils cumulent des vulnérabilités : ils souffrent de pathologies multiples, ils sont isolés, dorment dans la rue, comprennent imparfaitement le français, se nourrissent mal. Le soin ne peut faire l’économie de cette réalité.

Dans ce cadre, comment abordez-vous le soin ? La démarche médicale reste la priorité. Il n’est pas question d’une médecine « low cost » ou de seconde zone. Au contraire ! C’est une médecine générale, adaptée à chaque patient, passionnante, riche et variée. Cette médecine du juste soin au juste coût est une médecine intégrative qui mobilise toutes les dimensions du soin et toutes les capacités des soignants. Nous l’exerçons en deux temps. D’abord la décision technique, qui répond au diagnostic posé et au traitement envisagé ; puis dans un deuxième temps, la position éthique, qui aborde le patient dans sa globalité (quel environnement ? Quelle situation financière et administrative ? etc.), sa complexité, son humanité.

Avec une équipe de professionnels de l’hôpital et des chercheurs en sciences sociales et humaines, vous avez construit la méthode SIMPLE ? Pouvez-vous la détailler ? L’objectif de cette méthode est de servir de boussole quand nous devons prendre une décision dans une situation complexe. SIMPLE est un acronyme. S pour systémique (ou vision globale du patient) ; I comme immédiat (plus la prise en charge sera rapide et moins la complexité de la situation du patient s’accentuera) ; M comme motivation (du patient et des soignants), P comme pluriprofessionnel (pour, entre autres, trouver la juste distance, rester centré sur son cœur de métier et partager ses connaissances) ; L comme logistique (unité de lieu, présence d’un interprète…) ; E comme échanges (dans la confiance et le respect réciproques, sécurité, égalité, horizontalité, écoute mutuelle).

En quoi cette approche peut-elle servir de modèle ? La méthode a montré sa pertinence et son efficience dans des situations extrêmes d’une grande complexité. Pourquoi ne pas l’appliquer plus largement à l’hôpital ou se regrouper avec ceux qui le font déjà (soins palliatifs, gériatrie, handicaps physiques et psychiques…) ? Les PASS sont des unités de pratique intégrée avec des professionnels opérant dans des champs variés, réunis en équipe dans un même lieu. Ce qui favorise l’analyse rapide, globale et efficace des situations pour ensuite proposer aux patients des solutions adaptées au cas par cas. Certes, il n’existe pas de solution miracle pour apporter une réponse concrète aux inégalités en santé. Tout au moins peut-on favoriser cette médecine intégrative qui, par ailleurs, pourrait aider aussi à résoudre une problématique majeure de notre système de santé qui est celle de sa fragmentation, de ses nombreux clivages, en particulier les clivages somatique-psychique, ville-hôpital, social-médical.

Dr Maude Bossis
« L’absence de soins des plus fragiles fait courir un risque à tous. »
Dr Maude Bossis, médecin généraliste et coordonnatrice salariée du centre de santé Solidarité Santé 63 (Clermont-Ferrand).
« L’absence de soins des plus fragiles fait courir un risque à tous. »

Quelles sont les missions du centre de santé ? Tout a commencé en 2004 avec la création de l’association Solidarité Santé 63 par le Dr Paul Suss. Ce médecin généraliste a constaté que de nombreuses personnes renonçaient à se soigner parce qu’elles n’avaient pas de couverture médicale. Il s’est entouré de médecins bénévoles et a ouvert des consultations gratuites pour toute personne en situation de précarité : SDF, migrant, demandeur d’asile, débouté ou en situation irrégulière. En 2011, l’association est légitimée par l’ARS en tant que centre de santé1 géré par l’association Solidarité Santé 63. La plupart des médecins bénévoles sont retraités mais depuis trois ans l’arrivée de jeunes médecins complète l’équipe.

Votre intervention est-elle seulement médicale ? Nous recevons les patients pour des soins gratuits de premier recours. Mais nous agissons aussi sur le plan social et administratif, d’où la présence de salariés qui nous aident pour accompagner nos patients dans leurs différentes démarches : aide dans la constitution d’un dossier administratif, soutien pour la prise de rendez-vous ou l’accompagnement physique à une consultation médicale. Le volet social est, en effet, indissociable de la prise en charge médicale pour ce public.

Comment la précarité impacte-t-elle la santé de vos patients ? Quand une personne ne dispose d’aucune couverture médicale ou qu’elle ne dispose que d’une couverture partielle, elle renonce aux soins ou les reporte. Ce retard de diagnostic et de prise en charge augmente le risque d’une dégradation de l’état de santé. Mais la précarité est aussi un enjeu de santé publique. L’absence de soins des plus fragiles fait courir un risque à tous. L'exemple le plus flagrant est, à mon avis, celui de la tuberculose, dont le nombre de cas ne cesse d'augmenter surtout parmi la population précaire. En l’absence de dépistage et de traitement, faute de soins, le risque de contagion est démultiplié.

Quelles seraient les pistes d’amélioration dans la prise en charge des personnes en situation de précarité ? Notre système de santé est l’un des meilleurs et l’un des plus bienveillants d’Europe, même si nous sommes inquiets des dernières évolutions législatives de janvier 2020 limitant la prise en charge des soins des étrangers en situation précaire. Elles auront forcément un impact sur les activités des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et des associations comme la nôtre, avec un risque accru d’éloigner encore plus les migrants du soin. Mais nous n’avons aucune prise sur ces décisions qui sont politiques. En revanche, ce qui nous paraît essentiel, c’est d’agir sur la formation des médecins et de les sensibiliser, dès leurs études et par le choix de leurs stages, à la prise en charge des populations précaires. Dans notre région, le DU Santé et Précarité a disparu faute d’étudiants. C’est très dommage. Cela dit, il ne suffit pas de faire ce DU. Il faut aussi avoir une sensibilité particulière pour aborder les problématiques très spécifiques des populations précarisées.

1. Il compte aujourd’hui 36 professionnels de santé (pédiatre, gynécologues, cardiologues, dentistes, ophtalmologues, rhumatologue, infectiologue, pneumologue, etc.) dont 27 bénévoles et 9 salariés.

Camion
Camion
MARSOINS

Un camion pour la santé de tous

Un camion pour la santé de tous

« S’adresser à tous sans discrimination mais avec un regard particulier pour les personnes éloignées du soin. » C’est l’objectif d’À vos soins, créée en 2016 dans l’agglomération de Saint-Nazaire. Pour accompagner au mieux ceux qui ne se soignent pas assez, cette association a eu l’idée d’aménager un camion en centre de consultation. Depuis 2017, le MarSoins sillonne Saint-Nazaire pour s’installer quelques heures devant les maisons de quartier, les écoles, les marchés… À l’intérieur, une équipe de médecins propose directement aux habitants des bilans auditifs, visuels ou dentaires, fait un peu de sensibilisation et les oriente si besoin vers des médecins de ville. Le tout gratuitement. En plus des consultations, les professionnels du camion proposent aussi des actions d’éducation à la santé ou à l’hygiène. Il héberge aussi un « espace d’échange » au sein duquel il est possible de rencontrer une animatrice de planning familial ou une assistante sociale. Une esthéticienne vient aussi régulièrement proposer des soins gratuits. « L’idée est d’avoir une approche familiale, bienveillante et surtout non stigmatisante », explique Nicolas Blouin, le directeur.

Cigarette
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TABADO

Sensibiliser les jeunes à l’arrêt du tabac

Tabac

Plusieurs universités proposent à des patients de partager leur expérience de la maladie directement auprès des étudiants. Depuis 2016, la faculté de médecine de Bobigny intègre la « perspective patient » dans sa formation. Une quinzaine de patients experts délivrent plus d’une centaine d’heures d’enseignement par an, en binôme avec des médecins. Plusieurs méthodes pédagogiques sont utilisées : l’échange de pratiques autour de situations cliniques vécues par les internes, la pédagogie inversée par des exposés présentés par les internes et la médecine narrative par l’écriture de traces d’apprentissage après l’enseignement. Certains de ces patients sont mêmes intégrés à la commission d’enseignement de l’université où ils peuvent prendre part aux décisions pédagogiques.

Coordonné par l’Institut national du cancer (Inca), le programme Tabado accompagne de façon personnalisée les jeunes apprentis vers l’arrêt du tabac. L’Inca constate en effet que le nombre de fumeurs est deux fois plus élevé chez les élèves en formation professionnelle que dans les filières générales : 47 % des élèves de centre de formation d'apprentis (CFA) sont consommateurs de tabac, contre 22 % dans les lycées. En 2018, 142 établissements scolaires français, CFA, lycées professionnels et maisons familiales rurales ont participé à l’opération, et 500 élèves se sont portés volontaires pour être accompagnés. Comment ça marche ? La sensibilisation se déroule pendant les heures de cours. Elle commence par une séance d’information collective dans les classes pour informer sur les méfaits du tabac. Ensuite, les fumeurs volontaires s’inscrivent à un ou plusieurs rendez-vous individuels avec un professionnel de santé, qui leur propose une solution de sevrage sur mesure. Enfin, quatre ateliers en petits groupes sont organisés pour aider les fumeurs participants à ne pas craquer. L’Inca constate que deux fois plus de jeunes fumeurs ont réussi à arrêter le tabac dans les établissements participant aux programmes Tabado.
Pour en savoir plus : https://tabado.fr/

Bebe
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PARCOURS SANTE EDUCATION

Cibler les enfants avant 6 ans

Bebe

Les études montrent que les inégalités de santé s’installent avant 6 ans. C’est pourquoi la Stratégie nationale de santé et le Plan priorité prévention ont instauré un parcours santé-accueil-éducation pour tous les enfants de 0 à 6 ans. Il s’agit de renforcer la prévention dès le plus jeune âge. Cette mission est confiée aux services de protection maternelle et infantile (PMI), et repose sur une parfaite coordination entre les acteurs de la petite enfance. À partir de la rentrée 2020, tous les enfants effectueront une visite médicale obligatoire à leur entrée en maternelle. Et ceux qui en ont besoin pourront bénéficier d’une consultation gratuite au cours de leur sixième année. L’objectif, notamment, est de déceler très tôt les jeunes élèves souffrant de troubles de la santé qui pourraient affecter les apprentissages. https://eduscol.education.fr/cid144183/le-parcours-sante-accueil-education-des-enfants-de-0-a-6-ans.html

outils
outils
PREVENTION OBESITE

Prévenir l’obésité chez les enfants

Boite à outils

La lutte contre l’obésité et sa prévention sont l’un des axes forts de la Stratégie nationale de santé 2018-2022. Cette maladie chronique, facteur de risque de nombreuses maladies (pathologies cardio-vasculaires, diabète…), est marquée par de très fortes inégalités sociales et territoriales. Selon la DREES, 5,8 % des enfants d’ouvriers souffrent d’obésité en CM2 contre 0,8 % chez les enfants de cadres. Face à ce constat, le gouvernement expérimente depuis 2018 un dispositif de prévention de l’obésité chez les enfants de 3 à 8 ans intitulé « Mission : retrouve ton cap ». Entièrement pris en charge par l’Assurance maladie, il offre une prise en charge qui associe diététique, psychologie et activité physique. Les enfants suivis ne font pas de régime. L’objectif du programme n’est pas qu’ils perdent du poids mais de ralentir la prise de poids en invitant les enfants à adopter de bonnes habitudes alimentaires et à faire davantage d’activité physique. Quatre départements participent à cette expérimentation : le Nord, le Pas-de-Calais, la Seine-Saint-Denis et la Réunion. Des territoires particulièrement touchés par l’obésité infantile.

Dr Alain Criton

Dr Alain Criton

Dr Alain Criton
Dr Alain Criton
médecin généraliste à Nancy
« Une coopération d’acteurs volontaires améliore l’accès aux soins  »

« Pendant trente ans, j’ai collaboré à Nancy avec les travailleurs sociaux de terrain, l’association Accueil et réinsertion sociale et l’Équipe mobile psychiatrie précarité dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) auprès d’un public en situation de grande précarité. Ces patients particulièrement démunis cumulent un grand nombre de facteurs de vulnérabilité, et il est courant de constater le non-recours aux soins, le peu d’impact des messages de prévention et de dépistage, et au final des diagnostics plus tardifs aux pronostics plus réservés.

L’éloignement des rendez-vous peut être un puissant facteur de renoncement chez les patients les plus précaires, qui peinent à investir des projets sur le moyen et long terme. C’est en ophtalmologie que ce problème est le plus sensible, c’est pourquoi, en 2016, le Dr Solène Terrier de la Chaise a expérimenté pour sa thèse de médecine générale un réseau d’accès court aux soins ophtalmologiques pour des patients en grande difficulté sociale. Chaque semaine, des examens de vue sont proposés dans des centres d’hébergement de Nancy, à des personnes qui ont répondu à la sollicitation de leur travailleur social. Près de 80 % d’entre elles ont besoin d’un rendez-vous avec un ophtalmologue, que ce soit pour des équipements optiques ou le traitement de pathologies. Le service d’ophtalmologie du CHU de Nancy et quelques ophtalmologistes libéraux nous accordent des rendez-vous rapides sur le postulat qu’une grande précarité constitue une forme d’urgence pour l’accès aux soins. De leur côté, les éducateurs de terrain accompagnent les patients dans leurs démarches et leurs rendez-vous pour limiter les oublis. Cette action, qui donne de beaux résultats, est intégrée à la liste des projets de santé de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) du Grand Nancy.

La réussite de ce réseau de soins démontre qu’une coopération d’acteurs volontaires améliore l’accès aux soins des personnes précaires. Au sein de cette équipe pluridisciplinaire, j’insiste sur l’importance des travailleurs sociaux. Nous, professionnels de santé, libéraux et hospitaliers, pouvons nouer des alliances avec ces professionnels, et concourir à la réduction des inégalités de santé. »

Xavier Emmanuelli

Dr Xavier Emmanuelli

Xavier Emmanuelli
Dr Xavier Emmanuelli
anesthésiste-réanimateur, cofondateur de Médecins sans frontières, créateur du Samu social, ancien secrétaire d'État à l'Action humanitaire, fondateur des « Transmetteurs ».
« Redonnons une place centrale au médecin généraliste »

« Plusieurs millions de personnes rencontrent des difficultés d’accès aux soins du fait de problèmes financiers ou d’un manque de conscience de la nécessité de se soigner. De son côté, l’hôpital public français a recentré ses activités sur le plateau technique, la performance, l’innovation, la formation de médecins experts. Résultats, il est aujourd’hui peu adapté à la prise en charge des personnes diminuées, en grande précarité.

L’entrée en soins passe souvent par l’urgence, sans anticiper la continuité de la prise en charge après l’hospitalisation. Les politiques publiques ont, à tort, séparé le médical du social. Même le Samu et le Samu social ne parviennent pas non plus à travailler ensemble. Il est au contraire nécessaire de miser sur la transversalité des approches.

Pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins de santé, notre système doit redonner une place centrale au médecin généraliste. La place qu’il occupait hier, celle d’un accompagnant fraternel, fin connaisseur de l’intimité des familles. Le médecin doit être une sentinelle pour la population, notamment pour les plus fragiles. Il doit prendre soin, s’impliquer dans la prévention, la médiation familiale. C’est de cette façon qu’il maintiendra le précieux équilibre entre l’état de santé physique et l’état de santé social. Les patients ont besoin d’être regardés, écoutés, protégés. Mais aujourd’hui les médecins sont des professionnels trop sollicités, subissant une forte pression face à des patients toujours plus nombreux.

Nous devons donc faire évoluer nos paradigmes. Par exemple, pour lever les barrières d’accès aux soins, ce n’est pas au malade de venir à l’institution, c’est à l’institution de venir au malade. La formation des futurs médecins doit davantage leur apprendre le souci de l’autre, l’empathie, la bienveillance. En France, des universités de médecine commencent à inscrire l’enseignement de l’empathie à leur cursus. La nouvelle génération de médecins, comme celle des citoyens d’ailleurs, souhaite s’engager davantage auprès des patients, découvrir et entrer dans leur quotidien. »

Mareva Simonnet

Dr Mareva Simonnet

Mareva Simonnet
Dr Mareva Simonnet
médecin ORL à Saint-Denis (93)
« Les plus précaires rencontrent des difficultés d'accès aux soins primaires en ville »

« Je partage mon activité de médecin ORL entre l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis (93), où j’opère, et des consultations dans mon cabinet de ville, toujours à Saint-Denis, ouvert en mars 2019 avec deux consœurs. La France fait partie des pays où les inégalités sociales de santé sont les plus élevées en Europe, et elles n’ont pas tendance à régresser ces dernières années. Le département de Seine-Saint-Denis est particulièrement concerné par ces inégalités et par la désertification médicale. Le département ne compte que 54,8 médecins généralistes pour 100 000 habitants, contre 70,8 en moyenne pour l'Île-de-France.

Les médecins spécialistes ne font pas exception : plusieurs mois d’attente sont souvent nécessaires pour obtenir un rendez-vous, ce qui décourage certains patients. L’arrivée simultanée de trois médecins ORL à Saint-Denis il y a un an a permis de réduire ce délai d’attente. Les patients que nous rencontrons à Saint-Denis nous sont reconnaissants et les cas traités sont variés. C’est à la fois valorisant et intéressant.

Mais force est de constater que les plus précaires rencontrent des difficultés d'accès aux soins primaires en ville et se tournent vers les urgences, principale porte d’entrée aux soins. Malheureusement, celles-ci sont saturées en raison des politiques de rigueur budgétaire qui ont frappé l'hôpital public. Pourtant, des solutions existent. À l’hôpital Delafontaine comme dans d’autres hôpitaux de France, les permanences d’accès aux soins de santé, les Pass, réunissent médecins, infirmières et assistantes sociales. Ils accueillent et remettent sur le chemin du soin des patients en grande précarité – exilés, demandeurs d’asile, sans papiers ou sans domicile, mais aussi des travailleurs pauvres, des retraités sans complémentaire santé. La plupart ont depuis longtemps renoncé à se soigner. Les Pass ont besoin de moyens financiers adaptés et de personnels pour mener leurs missions. »

Geneviève Couraud

Geneviève Couraud

Geneviève Couraud
Geneviève Couraud
membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, co-rapporteure de « La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité ».
« Les professionnels de santé sont en première ligne de la lutte contre les inégalités sociales de santé »

« Les femmes en situation précaire travaillent mais sont « invisibles », « hors radars » des politiques publiques traditionnelles de prévention, dépistage et de santé. Dans leur vie, la santé passe après tout le reste et les ressources financières freinent considérablement l’accès aux soins. Résultats, le risque de mortalité prématurée par maladie cardio vasculaire et par cardiopathie ischémique est trois fois plus élevé pour les ouvrières que pour les femmes cadres. Pire, ces inégalités sociales de santé se répercutent sur la situation des enfants.

En 2017, le Haut Conseil à l’Egalité a formulé 21 recommandations dans son rapport « La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité ». Parmi celles-ci, le HCE propose de faire de la médecine du travail un levier essentiel pour améliorer la santé des femmes en situation de précarité au travail. Autre exemple : le soutien aux centres de santé communautaires. Ils vont vers les personnes les plus éloignées du système de santé et leur apportent une réponse globale avec des équipes pluridisciplinaires : nutrition, risques tabagiques, accès à la contraception, accès aux droits en santé, éducation des enfants, etc.

Enfin, les professionnels de santé sont en première ligne de la lutte contre les inégalités sociales de santé. Le HCE estime nécessaire d’améliorer la formation initiale et continue des médecins et de l’ensemble des professionnel.le.s de santé – médecins du travail, médecins de prévention, infirmier.e.s, internes.
La précarité, et plus particulièrement les préjugés associés à la pauvreté, peuvent en effet susciter des pratiques professionnelles différentes, allant de la stigmatisation à la discrimination, avec pour conséquences une prise en charge de moins bonne qualité ou retardée ou encore un renoncement aux soins.

Il est essentiel de sensibiliser les médecins dès leur formation à la lutte contre ces pratiques discriminatoires. Cela permettrait de proposer un accueil adapté aux femmes en situation de précarité, de mieux prendre en compte leurs spécificités dans les diagnostics et les traitements, de généraliser le dépistage systématique des violences faites aux femmes, de prévenir le harcèlement sexuel et l’agissement sexiste au travail, etc. »

Ce webzine vous est proposé par le Conseil national
de l'Ordre des médecins - www.conseil-national.medecin.fr
Juillet 2020

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Dr François Arnault

RÉDACTEUR EN CHEF : Pr Stéphane Oustric

COORDINATION : Isabelle Marinier

CONCEPTION ET RÉALISATION : Citizen Press

RESPONSABLE D’ÉDITION : Aline Brillu

WEBDESIGN : Charles Annerel

SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : Alexandra Roy

RÉDACTION : Eric Allermoz, Aline Brillu, Magali Clausener, Béatrice Jaulin

MOTION DESIGN : Citizen Press

PHOTOS : DR, Istock

CONCEPTION / INTÉGRATION WEB : Art-Ev / Agence'O