Le webzine de l'Ordre des médecins - Les clés de l'information santé

WebzineSanté

#9
Juin 2018

Les anciens numéros

Dr Andrée Parrenin
Dr Andrée Parrenin
vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des médecins
« Près de 800 000 naissances ont lieu chaque année en France, dont la grande majorité, 99 %, se déroulent en établissement hospitalier public ou privé. Comment les femmes accouchent-elles en 2018 ? »

Depuis plusieurs années, nous constatons que les naissances surviennent à des âges maternels plus tardifs et que la plupart des grossesses sont planifiées. Parallèlement, nous observons en France une augmentation de la prématurité, qui n’est pas systématique en Europe. Notre pays conserve également un taux de mortalité néonatale relativement élevé ; la France était au 15e rang européen en 2010. Face à ces constats, il est important de mettre l’accent sur la prévention des facteurs de risques (obésité, tabac, alcool, drogues, contexte social…) et sur l’information les concernant.

La sécurité de l’accouchement reste une priorité essentielle, pour les patientes comme pour les soignants. Pour autant, les femmes sont de plus en plus demandeuses d’une prise en charge moins médicalisée et de moyens associés pour traiter la douleur. Certains établissements ont su répondre à cette demande en ouvrant des espaces d’accouchement physiologiques. À noter que, ces dernières années, les maternités françaises ont avancé dans cette démédicalisation de la naissance : les taux d’épisiotomie et de césarienne sont en baisse constante.

Face à ces nouveaux défis, les gynécologues-obstétriciens sont en première ligne. Ils restent les professionnels les plus consultés en période prénatale. Les sages-femmes font également un travail important. Elles suivent aujourd’hui un quart des femmes pendant les six premiers mois de grossesse.

Dans cette période de la vie où les femmes ont particulièrement besoin d’informations fiables et rigoureuses, ce webzine donne la parole aux professionnels pour décrire et examiner la prise en charge de l’accouchement en France, en 2018.

foetus
785 000

bébés sont nés
en France en 2016.

99 % d'entre eux ont vu
le jour à l'hôpital.

pregnant
30,4 ans

C'est l'âge moyen des femmes ayant accouché en 2016 (29,9 ans en 2010).

Un tiers avaient entre 30 et 34 ans, 4,1% plus de 40 ans
et 2% moins de 20 ans.
Entre 2010 et 2016, la part des accouchements à 35 ans
ou plus a augmenté, passant de 19,3% à 21,3%.

Head
60 %

des naissances sont prises en charge par une sage-femme

Une médicalisation en baisse
foetus

40 % des maternités françaises ont installé une salle d'accouchement "naturel".

scissor

20,1 % des femmes ont subi une épisotomie. Cet acte est en forte baisse depuis 1998, où il concernait 71,3 % des primipares

syringe

52,5 % des femmes ont reçu de l'oxytocine contre 64,1 % en 2010

scalpel

20,2 % des femmes ont accouché par césarienne contre 11 % en 2010

analgesic

82,6 % des femmes ont bénéficié d'une analgésie péridurale. En parallèle, 35 % des femmes ont rapporté avoir eu recours à des solutions non médicamenteuses pour gérer la douleur durant le travail

suction

Une extraction instrumentale a été effectuée dans 32,6 % des accouchements par voie basse. La ventouse est l’instrument le plus utilisé devant les forceps et les spatules.

calendar
4 JOURS
C’est la durée moyenne des séjours en maternité après une naissance.

5 % des femmes ayant accouché par voie basse ont pu bénéficier d’une sortie précoce (avant 72 heures).

interogative
Qu'est-ce que l'entretien
prénatal
précoce ?
file

Mis en place en 2007 par la Caisse nationale de l’assurance maladie, ce rendez-vous a pour objectif de repérer les problématiques médico-psychosociales et permet aux couples d’exprimer leurs craintes et leurs attentes concernant la grossesse. Il est assuré par un médecin ou une sage-femme au cours du premier trimestre de la grossesse. 28,5 % des femmes déclarent en avoir eu un en 2016.

7,5 %

Des bébés sont nés prématurés en 2016

Un chiffre en légère hausse
depuis 2010

Où se font les accouchements ?
La grande majorité des femmes accouchent dans les centres hospitaliers français. La part des maternités privées est en baisse. Elles accueillaient 28,4 % des naissances en 2010, et 23,4 % en 2016. 29 % des femmes accouchent dans une maternité de plus de 3 000 naissances par an.

Trois fois moins de maternités qu'il y a 30 ans

Les maternités de type I en baisse

Le retour des petites maternités

De plus en plus de très grandes maternités

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La fermeture de près des deux tiers des maternités entre 1975 et 2014 – dont le nombre, en France métropolitaine, est passé de 1 369 à 518 – a entraîné une baisse de 6 % du nombre de naissances dans les communes de moins de 10 000 habitants (15 % en 1975 et 9 % en 2016). Ces naissances se sont notamment répercutées dans les structures hospitalières des communes de plus de 50 000 habitants (44 % des naissances en 1975 contre 50 % en 2016).

home

Les maternités sont classées selon leur degré de technicité : type I, IIA, IIB et III. Les types III sont équipées d’un service de réanimation néonatale et accueillent les accouchements les plus « à risque ». Elles accueillent 26 % des accouchements. Entre 2003 et 2016, le nombre de maternités de type I a diminué de 37 %, tandis que celui des autres maternités reste relativement stable.

home

Entre 2010 et 2016, le nombre des petites maternités (réalisant moins de 500 accouchements par an) a cessé de baisser, et leur nombre augmente très légèrement. En 2016, ces 58 maternités ont réalisé 3 % des accouchements. Le nombre des très petits établissements (moins de 300 accouchements par an) est passé de 14 en 2010 à 20 en 2016. Le maintien de ces structures s’explique par leur isolement géographique.

home

Les établissements réalisant plus de 3 500 accouchements par an continuent d’augmenter. Ils étaient six en 2003, ils sont 27 en 2016 et représentent 15 % des naissances.

Pourquoi la médicalisation de l’accouchement est-elle remise en question ? Est-ce uniquement lié à un excès de techniques ? Les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) suffiront-elles pour y répondre ? Décryptage avec quatre experts de la naissance.
Dr Amina Yamgnane
Dr Amina Yamgnane
Médecin gynécologue-obstétricienne, chef de la maternité de l’Hôpital américain, à Paris
Anne-Marie Curat
Anne-Marie Curat
Présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes
France Artzner
France Artzner
Coprésidente du Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane)
Philippe Charrier
Philippe Charrier
Sociologue à l’université Lyon-2 et coauteur de Sociologie de la naissance (éd. Armand Colin)
L’accouchement est-il trop médicalisé en France ? Qu’est-ce que les femmes remettent en question exactement ?
Philippe Charrier
Philippe Charrier / La médicalisation de l’accouchement a débuté dans les années 1950, quand les femmes ont commencé à se rendre à l’hôpital pour donner la vie. Les avancées technologiques ont ensuite contribué à réduire la mortalité infantile et maternelle. Ces progrès, les femmes en sont conscientes. C’est pourquoi elles ne rejettent pas tout en bloc. Leurs critiques portent plutôt sur la standardisation de la prise en charge : trop d’actes, comme l’épisiotomie, sont maintenant pratiqués de façon systématique. Les patientes aimeraient que les équipes soignantes s’adaptent davantage à leurs besoins et à leur projet de naissance.
Dr Amina Yamgnane
Dr Amina Yamgnane / L’accouchement est trop médicalisé pour celles qui veulent un accouchement physiologique et qui peuvent avoir du mal à se faire entendre dans les salles de naissance. La naissance reste heureusement suffisamment médicalisée pour toutes les situations où les choses se compliquent : 40 % des cas, quand même ! Ce que les femmes revendiquent, c’est surtout d’avoir la maîtrise des choses, et cela suppose qu’elles disposent d’informations loyales et transparentes. Si leurs critiques sont plus palpables aujourd’hui, c’est que les réseaux sociaux leur ont offert une plus grande caisse de résonance. C’est aussi parce que, aujourd’hui, les femmes sont plus éduquées et connectées que jamais. Elles sont devenues des patientes expertes. Nous ne pouvons plus pratiquer l’obstétrique comme nous avons appris à le faire il y a deux ou trois décennies.
Anne-Marie Curat
Anne-Marie Curat / On a commencé à parler de surmédicalisation de la naissance dès les années 1980, avec l’émergence de la péridurale. L’anesthésie locorégionale, en immobilisant le bassin, modifie la dynamique utérine et conduit bien souvent à utiliser l’oxytocine, au risque d’induire des effets secondaires. Ayant pris conscience de cette iatrogénie, des maternités ont développé des approches moins médicalisées qui n’empêchent ni la sécurité ni le traitement de la douleur. La péridurale ambulatoire, par exemple, permet à la femme de bouger pendant le travail, mais n’est que trop rarement disponible.
France Artzner
France Artzner / En 1997 déjà, Bernard Kouchner, alors secrétaire d’État chargé de la Santé, annonçait sa volonté de voir ouvrir des maisons de naissance, non pas pour démédicaliser l’accouchement, mais pour éviter de le surmédicaliser. Maintenant que ces maisons existent, nous voulions qu’il y ait un cadre pour l’accompagnement proposé dans ces structures. C’est pourquoi, avec le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), le Collège national des sages-femmes de France (CNSF) et la Société française de maïeutique (SFMa), nous avons saisi la HAS sur le sujet. Finalement, les recommandations ont été élargies à l’accouchement normal, afin de concerner toutes les femmes qui présentent un faible risque obstétrical.
Ces derniers mois, les médias ont relayé de nombreux témoignages de femmes relatant leurs mauvaises expériences d’accouchement. Cela a-t-il un lien avec cette remise en question ?
Anne-Marie Curat
Anne-Marie Curat / De façon générale, aujourd’hui, il y a une vraie volonté des femmes de maîtriser leur corps, et un refus qu’on intervienne dessus sans raison, surtout si cela s’accompagne de douleur. L’épisiotomie, par exemple, peut s’entendre si elle a une indication réelle, si elle sert à éviter une trop grande déchirure du périnée et une importante chirurgie réparatrice. Mais les femmes ne veulent pas qu’on coupe leur vagin par confort, simplement pour faire gagner du temps à l’équipe médicale.
Philippe Charrier
Philippe Charrier / À côté des dénonciations d’affaires très graves d’agressions sexuelles, ces derniers mois on a vu se multiplier le partage de mauvaises expériences, notamment liées à l’accouchement. Des femmes peuvent vivre certaines interventions gynécologiques comme de violentes atteintes à leur corps, voire comme des traumatismes. On ne peut pas dire que les professionnels de santé ont été intentionnellement violents envers elles. En revanche, ils auraient pu éviter un tel ressenti s’ils avaient expliqué leurs gestes et demandé le consentement de la patiente au préalable.
Dr Amina Yamgnane
Dr Amina Yamgnane / Quand des femmes disent avoir vécu leur accouchement comme traumatique, il faut les écouter. Car, même s’ils ne sont pas pratiqués avec la volonté de faire mal, certains actes peuvent être violents. C’est le cas par exemple de la révision utérine, nécessaire en cas de placenta incomplètement expulsé. Les soignants doivent entendre que les femmes ont besoin que les interventions sur leur corps aient un sens pour les accepter. Et ce, même s’il s’agit d’un geste a priori peu douloureux. On ne sait pas ce que la patiente a traversé dans sa vie. Selon une récente étude, 12 % d’entre elles ont été victimes de viol1. Un toucher vaginal peut rappeler ce traumatisme.
France Artzner
France Artzner / D’après les témoignages que nous recevons au Ciane, les violences obstétricales ne reposent pas toujours sur les actes réalisés. Il y a aussi un problème de communication. L’absence d’explications et la non-recherche de consentement peuvent faire qu’un acte technique, comme la pose de forceps, soit vécu comme une violence. Il faut réduire la surmédicalisation de l’accouchement, mais cela ne suffira pas forcément pour que les femmes le vivent mieux. Il faut aussi que les soignants se rappellent qu’il y a une personne derrière un corps.
Comment faire pour que les femmes puissent se réapproprier leur accouchement, même quand des interventions sur leur corps sont nécessaires ?
Dr Amina Yamgnane
Dr Amina Yamgnane / La connaissance des conditions de l’accouchement est indispensable, tout comme l’anticipation des difficultés qui peuvent survenir. La préparation est la possibilité avec les couples d’évoquer un certain nombre de scénarios quant au déroulement de la naissance de leur enfant. Cela suppose d’abord de pouvoir écouter les couples dans leurs attentes et leurs rêveries d’enfants. Mais vous ne pouvez faire cela qu’à la condition de disposer de temps et que les parents soient réceptifs. Il s’impose, à nous professionnels, de faire alliance avec nos patientes, sous peine de rater ce rendez-vous. Dans ces cas-là, elles peuvent très mal vivre le fait que leur accouchement ne se passe pas tel qu’elles l’avaient imaginé, par exemple qu’elles doivent subir une césarienne d’urgence alors qu’elles souhaitaient donner la vie le plus naturellement possible.
Anne-Marie Curat
Anne-Marie Curat / Depuis le plan périnatalité 2005-2007, un entretien prénatal précoce est préconisé vers la fin du premier trimestre de la grossesse. Cela permet d’écouter les attentes de la femme enceinte concernant le déroulement de son accouchement. Les équipes pourront ainsi mieux l’accompagner dans son projet de naissance, mais aussi l’informer au plus tôt si ses souhaits ne sont pas envisageables (à cause d’un diabète gestationnel, d’une mauvaise position du bébé ou du placenta, etc.). Malheureusement, cette mesure est peu suivie : seules 28,5 % des femmes bénéficient de cet entretien2. Il y a encore des progrès à faire en la matière.
France Artzner
France Artzner / L’information et le consentement aux soins sont nécessaires pour établir une relation de confiance entre soignants et soignées. Cela est d’autant plus important aujourd’hui que les femmes sont plus éduquées. Elles se renseignent davantage avant d’accoucher, sur les lieux de naissance, mais aussi sur les différents actes pratiqués. Elles sont donc plus susceptibles de les remettre en question s’ils ne leur paraissent pas justifiés. Les équipes ne sont par ailleurs pas assez sensibilisées à ce que vit la femme pendant l’accouchement : manque d’intimité, inquiétude, etc.
Si les pratiques sont déjà en train de changer, qu’apportent les recommandations de la HAS ?
Philippe Charrier
Philippe Charrier / Elles rendent visible la transformation qui s’est opérée dans certaines maternités. Cela devrait contribuer à gommer les disparités entre les établissements. Ces recommandations, en reconnaissant l’« accouchement normal » comme une catégorie de santé publique, donnent aussi plus de légitimité aux sages-femmes. Avant, tous les accouchements étaient potentiellement pathologiques et devaient être suivis par un médecin, même quand cette médicalisation n’était pas nécessaire.
Dr Amina Yamgnane
Dr Amina Yamgnane / Ces recommandations sont une base d’échange très intéressante avec les parents. C’est aussi un rail assez pratique à suivre pour les professionnels entre eux quant à la façon de travailler en cas de physiologie pure. Le problème, c’est que certains professionnels restent campés sur leur position et continuent de prôner des pratiques qui ne sont pas justifiées médicalement et qui peuvent être préjudiciables pour la mère ou le bébé. Pour d’autres, c’est leur quête de rentabilité, imposé par la T2A [tarification à l’activité] qui prend le dessus. Les recommandations de la HAS ont la vertu de rappeler que tout acte médical doit être justifié scientifiquement.
France Artzner
France Artzner / Ces recommandations soulignent que c’est aux soignants de s’enquérir des besoins physiques et émotionnels de la femme, et non à elle d’oser les exprimer. Elles préconisent de laisser plus de temps à la femme pour accoucher avant d’intervenir médicalement et de limiter le nombre de touchers vaginaux au nécessaire. Quand elles seront traduites dans un document grand public, comme le prévoit la HAS, les femmes enceintes pourront s’emparer de ces recommandations pour engager le dialogue avec les équipes soignantes. Informées sur le sujet, il sera plus facile pour elles d’échanger sur la pertinence ou non d’un acte médical.
Anne-Marie Curat
Anne-Marie Curat / Ces recommandations signent une évolution très attendue, mais elles sont impossibles à appliquer dans le contexte actuel. Elles nécessiteraient de multiplier les postes de soignants afin d’arriver à avoir une sage-femme par femme qui accouche. Or cette hypothèse est peu réaliste au regard des politiques de ressources humaines appliquées dans les maternités. Le personnel n’est pas suffisant. Et la rémunération à l’acte, qui ne prend pas en compte le temps passé à accompagner une patiente, ne favorise pas l’application des mesures préconisées. Quand une sage-femme passe quinze heures auprès d’une patiente pour lui laisser le temps d’accoucher, le forfait de 349,44 euros ne suffit pas à l’indemniser.
(1) Étude Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès.
(2) « Enquête nationale périnatale, octobre 2017 », rapport rédigé par l’Inserm et la Drees.
Être actrice de son accouchement

Permettre aux femmes de choisir où et comment elles vont accoucher, c’est l’enjeu du projet de naissance. De plus en plus, maternités et sages-femmes invitent les futures mères à exprimer par écrit leurs souhaits en ce qui concerne le déroulement du travail et de la délivrance. Ces dernières y indiquent leurs préférences en matière de médicalisation (refus du monitoring ou de la sonde urinaire, par exemple…) ou de bien-être (choix des vêtements, de l’alimentation, musique pendant l’accouchement…). La place du père pendant et après l’accouchement, le recours ou non à l’allaitement peuvent également y être mentionnés. Ce document est rédigé en liaison avec une sage-femme ou un gynécologue pendant le dernier trimestre de la grossesse. Les médecins s’engagent à respecter au mieux les demandes de la patiente, mais ont la liberté de s’y soustraire en cas de complication. Le projet de naissance est aussi un bon moyen de se préparer et d’appréhender la naissance avec plus de sérénité. Dans les faits, il reste encore marginal. Selon l’ »Enquête nationale périnatale », en 2016, seules 3,7 % des femmes avaient rédigé un projet de naissance et 17,2 % avaient fait part de leurs demandes à l’arrivée à la maternité.

Accoucher sans douleur… mais en douceur

Le traitement des douleurs de l’accouchement a longtemps été une priorité pour les médecins et les patientes. Apparue au début des années 1980, la péridurale a été vantée comme une libération par les féministes, et le recours à cette technique a rapidement explosé. Aujourd’hui, elle est utilisée dans 80 % des cas. Pourtant, ces dernières années, les médecins constatent que de plus en plus de femmes y sont réticentes. En 2016, 14,6 % des femmes enceintes déclaraient ne pas en vouloir. Peur de l’acte technique, des éventuelles complications, crainte de ne pas « ressentir » l’accouchement… Les raisons de cette remise en question sont multiples. Pour le Ciane (Collectif interassociatif autour de la naissance), c’est surtout le caractère « systématique » de la péridurale qui est à revoir. À l’inverse, le collectif propose, dans un premier temps, de traiter les douleurs… par plus de douceur. Cela passe un accompagnement psychologique et physique de la parturiente (positions, respiration, massages…). Les méthodes non médicamenteuses (bain, ballon) sont de plus en plus utilisées pour soulager la douleur. Enfin, la péridurale autodosée a montré d’importants avantages. Autant de solutions de plus en plus proposées dans les maternités.

Moins de médicalisation

Au-delà de la péridurale, c’est toute la médicalisation de l’accouchement qui est aujourd’hui remise en question par certaines femmes. Au cours des vingt dernières années, les praticiens ont fait de plus en plus appel à des interventions auparavant destinées à éviter les risques ou à traiter les complications, comme la perfusion d’ocytocine pour accélérer le travail ou les césariennes. Des études ont montré qu’une proportion substantielle des femmes enceintes en bonne santé subit au moins une intervention clinique pendant le travail et l’accouchement. En février 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est emparée du sujet en publiant 56 recommandations pour limiter les interventions inutiles lors de l’accouchement. « Nous voulons que les femmes accouchent dans un environnement sûr, avec l’assistance de personnel qualifié, dans des établissements bien équipés. Néanmoins, la médicalisation croissante des processus d’accouchements normaux diminue les capacités propres des femmes à accoucher et influe négativement sur leur expérience de l’accouchement », affirme le Dr Princess Nothemba Simelela, sous-directrice générale de l’OMS, chargée du Groupe famille, femmes, enfants et adolescents.

Pour en savoir plus : http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2018/positive-childbirth-experience/fr/

Un environnement plus accueillant

À la fin du XIXe siècle, les conditions de naissance ont considérablement évolué, notamment avec la généralisation de la péridurale. Cette médicalisation de l’accouchement a conduit à une concentration des établissements de soin. De 1 757 maternités en 1972, nous sommes passés à 535 en 2010. Les principaux CHU voient naître plus de 3 000 bébés par an. Certaines patientes déplorent un environnement peu intime et le manque d’accompagnement de la part de ces structures. Certaines maternités se sont adaptées à ces demandes en aménageant les salles d’accouchement et les chambres d’hospitalisation pour que les femmes se sentent un peu moins à l’hôpital. En 2013, le ministère de la Santé, après avoir demandé l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS), a autorisé l’expérimentation de maisons de naissances. Ces établissements sont gérés par des sages-femmes libérales, mais sont adossés à une maternité pour garantir la sécurité des soins en cas de complication. Neuf maisons de naissances ont ainsi vu le jour en France.

Rentrer chez soi plus tôt

En France, les mères restent à l’hôpital entre soixante-douze et quatre-vingt-seize heures après un accouchement par voie basse. Depuis 2015, dans le cadre du Programme d’accompagnement de retour à domicile (Prado), l’Assurance Maladie permet aux femmes qui le souhaitent et sous conditions de sécurité, de rentrer chez elles plus tôt, dès vingt-quatre à soixante-douze heures après l’accouchement. Dans ce cas, les patientes sont suivies par une sage-femme qui assure la prise en charge à domicile. Trois visites, a minima, sont organisées, dont la première dès le lendemain de la sortie. En 2016, 5 % des femmes ayant accouché par voie basse ont bénéficié de ce dispositif.

Pour en savoir plus : https://www.ameli.fr/sage-femme/exercice-liberal/services-patients/programmes-retour-domicile



Pr Bernard Hedon
« À nous, médecins, de trouver le juste milieu entre accompagnement et autonomie de la patiente »
Entretien avec le Pr Bernard Hédon, professeur de gynécologie-obstétrique au CHU de Montpellier et a coprésidé le groupe de travail qui a rédigé les dernières recommandations de la HAS pour l’accouchement normal.
« À nous, médecins, de trouver le juste milieu entre accompagnement et autonomie de la patiente »

Pourquoi avoir saisi la Haute Autorité de santé sur le sujet de l’accouchement ? Nous avons saisi la HAS il y a trois ans, conjointement avec le Collège national des sages-femmes de France et l’association représentative des patientes, le Ciane. Nous souhaitions mener une réflexion, car, ces dernières décennies, l’accent a surtout été mis sur la sécurité de l’accouchement. C’est pourquoi les maternités ont été regroupées autour de plateaux techniques habilités à prendre en charge toutes les complications. Mais ces services doivent réaliser une grande majorité d’accouchements dits normaux : en matière d’optimisation des moyens, nous pourrions mieux faire. Les patientes étaient aussi en demande d’une moindre médicalisation de la naissance. Et cela de manière parfois excessive, voire idéologique. Alors que sont développées des salles physiologiques, des salles d’« accouchements natures », nous voulions déterminer une ligne de conduite à partir de laquelle les professionnels pourraient laisser parler leur créativité.

Quelles sont les principales recommandations que vous formulez ? Accoucher est un acte physiologique que nous devons accompagner, et non une pathologie. Nous recommandons donc une réduction de la technicité. Attention, certaines interventions médicales sont indispensables : nous préconisons par exemple de l’injection d’oxytocine prophylactique de l’hémorragie de la délivrance, car elle réduit de manière significative les hémorragies. Mais, de manière générale, tout ce qui n’est pas dangereux peut être accepté par le corps médical. Par exemple, il n’est pas prouvé que l’accouchement serait plus facile à quatre pattes, mais si la patiente le souhaite nous n’avons aucune raison de le lui refuser. À condition que la salle d’accouchement le permette et que le praticien se sente suffisamment à l’aise. De même, nous donnons des préconisations sur le taux d’épisiotomies pratiqué, qui est actuellement de 27 % et qui pourrait encore diminuer jusqu’à 3 %. Nous approuvons également l’expérimentation des maisons de naissance. Nous insistons sur l’instauration d’un dialogue, d’un climat de confiance entre les praticiens et leurs patientes.

Vous recommandez également de renforcer l’autonomie des femmes vis-à-vis de leur accouchement : est-ce une réponse à la volonté des patientes ? Il est vrai que les patientes évoluent : elles changent au même rythme que la société. Cela s’est exprimé de façon très violente et totalement improductive au moment du « gynéco-bashing ». Nous ne retenons rien de cet épisode et refusons le terme de violence obstétricale. En revanche, la parole des femmes se libère de manière très progressive et nous devons en tenir compte. Autrefois, la patiente vouait une confiance aveugle au médecin et n’avait pas vraiment d’occasion de s’exprimer. Aujourd’hui elle se prend plus en main, elle s’informe, pose des questions. À nous, médecins, de trouver le juste milieu entre accompagnement et autonomie de la patiente, car elle ne peut pas tout maîtriser. Le projet de naissance a été créé dans cet objectif, cet outil doit donc être mieux exploité pour que les femmes puissent véritablement s’exprimer, mais dans un cadre réaliste correspondant à la maternité qu’elles ont choisie.

Reach
« Nous limitons les interventions médicales autour de l’accouchement »
Entretien avec le Pr Laurent Mandelbrot, chef du service de gynécologie obstétricale à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes.
« Nous limitons les interventions médicales autour de l’accouchement »

La HAS préconise de réduire la technicité des accouchements normaux : est-ce un souci que vous partagez ? C’est l’un des objectifs que je me suis donnés lorsque j’ai pris mes fonctions en 2002 et qui fait partie de notre projet de service. De type 3, notre plateau technique nous permet de répondre à tous les besoins et de faire face à toutes les complications. Mais nous accueillons une majorité d’accouchements normaux, pour lesquels nous essayons autant que possible de favoriser un accompagnement physiologique. Par exemple, nous limitons le nombre de prises de sang. Les femmes qui le souhaitent peuvent déambuler sans monitoring en début de travail, et l’une de nos salles d’accouchement est équipée d’une baignoire. Nous réduisons la fréquence des touchers vaginaux, l’utilisation d’ocytocine et le recours à l’épisiotomie. Pour les accouchements par voie basse spontanée, les épisiotomies ont presque disparu, puisque leur taux est actuellement de 2,6 %. Pour l’accouchement, les femmes sont installées dans un lit avec des cale-pieds, parfois dans d’autres positions. L’enfant est placé en « peau-à-peau » et mis au sein dès que la mère le souhaite.

Sommes-nous en train de revenir en arrière, après une période de surmédicalisation ? C’est un progrès. Dans les années 1980, lorsque la péridurale s’est généralisée, l’accouchement médicalisé l’a emporté. De façon générale, la surveillance médicale de la grossesse et de l’accouchement a permis de réduire énormément la mortalité. Mais nous avons assisté à une inflation de pratiques plus ou moins invasives, souvent non fondées sur des preuves scientifiques. Nous avons trop considéré que tous les accouchements étaient à risque jusqu’à preuve du contraire. À présent, nous pouvons mieux différencier les situations à risque qui nécessitent une médicalisation et les femmes qui sont éligibles à une moindre médicalisation. La formation des sages-femmes et des médecins progresse dans ce sens. Nous revenons aux fondamentaux : l’accompagnement par une sage-femme et une meilleure écoute des désirs de la patiente. Nous avons un projet de maison de naissance au sein de notre maternité de type 3, pour laquelle nous n’avons toujours pas obtenu le financement de nos tutelles. J’espère que le moment viendra.

Que pensez-vous du projet de naissance ? Je suis favorable au principe, c’est important de se préparer à la naissance et de s’approprier ce moment. Mais c’est difficile pour une femme, un couple, de savoir, avant le jour J, ce que l’on souhaitera le moment venu. C’est pour cela que, souvent, les projets de naissance manquent d’originalité ou de sincérité, ou sont des copiés-collés de ce qui circule sur certains sites web. On ne peut pas personnaliser à l’infini l’accouchement, mais nous mettons un point d’honneur à recevoir les femmes enceintes et leur conjoint le plus tôt possible. Nous les encourageons à déterminer quelles sont leurs priorités, notamment entre la technique ou la physiologie, l’absence de douleur ou le vécu intense de l’accouchement. Aujourd’hui encore, beaucoup de femmes vivent dans des milieux socioculturels dans lesquels elles ont peu le droit de donner leur avis. Je pense que nous pouvons aller plus loin dans le projet de naissance en mettant les femmes en confiance afin qu’elles osent s’exprimer librement lorsqu’elles viennent pour accoucher.

François-Marie Caron
« Retarder au maximum
la séparation mère-enfant »
Entretien avec le Pr François-Marie Caron, pédiatre au sein du Groupe santé Victor-Pauchet et président du Réseau périnatal de Picardie.
« Retarder au maximum
la séparation mère-enfant »

La maternité Victor-Pauchet est sur le point d’obtenir le label « hôpital ami des bébés » : qu’est-ce que cela signifie ? Nous mettons tout en œuvre pour renforcer le lien mère-enfant dès les premières secondes : 90 % des bébés qui naissent sont placés en peau-à-peau immédiatement, et ce pendant deux heures, sauf contre-indication sérieuse pour la santé du bébé ou de la mère. Aucun examen n’est pratiqué avant, même si nous restons en alerte. Ils profitent pleinement de ce moment, et on s’aperçoit d’ailleurs qu’après une demi-heure, en général, l’enfant a déjà rampé vers le sein et prend sa première tétée. Mais surtout, on entend beaucoup moins de cris, de pleurs, dans la maternité, les bébés sont beaucoup plus calmes. Le conjoint ou l’accompagnant est bienvenu en salle de naissance, même en cas de césarienne, et peut faire le peau-à-peau si la maman ne le peut pas. Ensuite la sage-femme réalise les quelques soins de routine, que nous avons tenté au maximum de réduire, avant de laisser à nouveau l’enfant à sa mère, autant que possible en peau-à-peau. Notre objectif, même en cas de réanimation ou de besoin de soins rapprochés, est de retarder le plus possible la séparation.

Quel est l’impact de ces mesures sur le bien-être de l’enfant ? La théorie de l’attachement est relativement récente et démontre qu’une relation sécurisante, y compris dès les premiers instants de vie, a un impact important sur le vécu définitif de l’enfant. Ce dernier peut développer des troubles de l’attachement. Ces premiers instants sont un moment privilégié, intime, aussi essayons-nous de limiter l’utilisation des téléphones portables en salle de naissance afin que la mère et son enfant puissent le savourer. Nous sommes aussi beaucoup plus vigilants qu’auparavant à l’égard du ressenti du bébé : sa douleur, ses émotions. Par exemple, on ne lui tape plus sur les fesses pour déclencher sa première respiration, c’est inutile, il suffit de lui frotter le dos. Et s’il faut lui faire une piqûre, on lui fait sucer du sucre pour stimuler la production d’endorphines et ainsi réduire son ressenti de la douleur.

La HAS de santé préconise une démédicalisation de l’accouchement quand celui-ci est normal. Qu’en pensez-vous ? C’est ce que nous essayons de faire, mais cela peut être déstabilisant pour certains médecins : nous, pédiatres, avions pour habitude de nous agiter beaucoup après la naissance. Il nous faut désormais changer de posture et être observateurs. On n’aspire plus systématiquement le nez : s’il est bouché, nous nous en rendons compte assez vite. De même pour l’œsophage : vérifier qu’il est bien continu n’est plus indispensable. En revanche, nous sommes moins à l’aise avec le principe des maisons de naissance, qui permet le retour à la maison tout de suite après l’accouchement. Le nouveau-né à bas risque n’existe pas. Même si l’accouchement se déroule normalement et si l’examen clinique est normal à la naissance, rien ne permet de prédire qu’il ne développera pas dans les quarante-huit heures une infection bactérienne, une malformation cardiaque gravissime et pourtant curable.

Nicolas Dutriaux
« Chaque femme devrait bénéficier d’un suivi globalisé de sa grossesse »
Entretien avec Nicolas Dutriaux, sage-femme depuis dix ans et secrétaire général du Collège national des sages-femmes de France (CNSF).
« Chaque femme devrait bénéficier d’un suivi globalisé de sa grossesse »

Aujourd’hui, quel est le rôle des sages-femmes dans la préparation à l’accouchement ? Les sages-femmes suivent les femmes enceintes dès le début de leur grossesse et parfois même jusqu’à l’accouchement. Au-delà du suivi médical, notre mission est double. D’abord, préparer les femmes à l’accouchement en leur donnant toutes les informations pour démystifier la douleur le jour J. Ensuite, accompagner les futures mères et les couples dans leur parentalité, avec une mission d’ordre psychosociale. Dans la mesure du possible, lors de chaque rendez-vous, la phase d’examen médical est précédée d’un temps d’échange et de dialogue, afin de répondre aux questions et aux angoisses des parents ou de détecter certaines difficultés. Cette connaissance des patientes est une richesse, c’est pourquoi je crois que chaque femme devrait bénéficier, si elle le souhaite, d’un suivi globalisé : une sage-femme ou une équipe de sages-femmes qui la suivrait depuis le début de sa grossesse jusqu’à l’accouchement. Par manque de temps, les médecins se recentrent souvent sur le volet exclusivement médical du suivi.

Depuis 2007, les femmes qui le souhaitent peuvent bénéficier d’un entretien prénatal. Quel bilan tirez-vous de ce dispositif ? Il est essentiel. Nous répondons aux questions et angoisses des femmes et les interrogeons sur leur environnement familial et social, leur situation professionnelle, etc. C’est une occasion unique de mieux les connaître et de détecter des situations compliquées. C’est à ce moment-là que nous repérons, par exemple, qu’une femme a des difficultés de logement, et nous pouvons mobiliser les bons acteurs. Malheureusement, seules 20 % à 25 % des femmes en bénéficient, et pas forcément celles qui en ont le plus besoin. Il leur est parfois proposé trop tard, à trente-cinq ou trente-six semaines, ce qui rend plus difficile toute possibilité d’intervention médicosociale. Peu de médecins généralistes ou gynécologues y sont formés. Pourtant les réseaux périnataux proposent régulièrement des formations gratuites sur ce sujet comme sur d’autres. Nous espérons voir se développer entre huit et quinze jours après la naissance un entretien postnatal précoce pour refaire le point sur ce qui avait été mis en place. L’objectif est d’assurer une continuité du prénatal vers le postnatal.

Dans ses dernières recommandations, la HAS préconise une plus grande personnalisation de l’accouchement et du suivi périnatal : comment cela peut-il être mis en place concrètement ? Nous avons déjà à cœur de personnaliser autant que possible le suivi de grossesse en utilisant toutes les compétences dont nous disposons. Les femmes bénéficient de sept cours pris en charge par la Sécurité sociale, et nous tentons d’y mettre en œuvre différents outils : sophrologie, acupuncture, hypnose, etc. L’essentiel étant de trouver le bon mix et que chaque patiente choisisse le professionnel et la méthode qui lui correspondent. Pour cela, elles doivent être accueillies en petits groupes, de trois patientes, par exemple. Mais ce n’est pas toujours possible… Les femmes sont de plus en plus demandeuses de reprendre en main leur accouchement, et c’est le rôle, normalement, du projet de naissance, dont on peut commencer à dresser les contours lors de l’entretien prénatal.

Comment les médecins qui accompagnent les femmes au moment clé de la délivrance travaillent-ils aujourd’hui ? De l’organisation des équipes à la considération du métier, trois praticiens livrent leur point de vue.
François Simon
Dr François Simon
président de la section Exercice professionnel du Conseil national de l’Ordre des médecins
Michèle Scheffler
Dr Michèle Scheffler
présidente du Conseil national professionnel de gynécologie et obstétrique (CNPGO), gynécologue médicale à activité mixte, libérale et publique.
Jacques Chameaud
Dr Jacques Chameaud
gynécologue-obstétricien à la clinique des Émailleurs de Limoges
Comment décririez-vous les conditions de travail des praticiens qui accompagnent les femmes pendant l’accouchement ?
François Simon
Dr François Simon / Le principal point positif, selon les gynécologues-obstétriciens interrogés par l'Ordre, est l'organisation des équipes. Les relations entre membres des équipes soignantes en salle de naissance - sages-femmes, infirmières, aides-soignantes, obstétriciens, pédiatres, anesthésistes -, le dialogue et la répartition des rôles, sont en général exemplaires ! C'est du moins en général le cas dans les grosses unités, qu'elles soient publiques ou privées. Les effectifs y sont généralement adaptés aux besoins et permettent d'organiser le tour de garde sur une base de rotation moins rapide et donc de diminuer la fréquence des gardes de dimanche et de nuit. La situation est toute autre dans certaines petites maternités qui ne survivent souvent que grâce à l’investissement d'une poignée de médecins d'accoucheurs et des sages-femmes.
Jacques Chameaud
Dr Jacques Chameaud / Dans notre maternité de petite taille, où nous faisons quand même plus de mille accouchements par an, les conditions de travail sont difficiles. Nous sommes sept accoucheurs. Je suis de garde un jour sur sept, de 20 heures à 20 heures, sur place par crainte des problèmes médico-légaux. Et cela depuis trente ans. À l’âge de 60 ans, vous devriez pouvoir lever un peu le pied… Nous faisons également beaucoup consultations et de chirurgie gynécologique, dont beaucoup de cancérologie. Bref, nous menons des vies de dingues ! C’est probablement le lot de toutes les petites maternités privées, avec des médecins vieillissants, sans relève et donc en sursis. Nous sommes la dernière maternité privée pour cinq départements. Néanmoins, nous continuons pour l’instant à proposer une prise en charge obstétricale satisfaisante. Cette performance repose sur les sages-femmes, les obstétriciens et les pédiatres, qui sont rodés, habitués à travailler ensemble et qui dialoguent sans cesse pour s’améliorer. Nous débriefons tous les événements indésirables dans le cadre de procédures qualité que nous nous imposons à nous-mêmes depuis longtemps. Les relations sont plus difficiles avec les anesthésistes, qui redoutent l’obstétrique, l’astreinte et les dangers qu’elle représente. Le fait de ne pas avoir d’équipe anesthésique spéciale et motivée inquiète beaucoup les jeunes obstétriciens que nous rencontrons, habitués au confort des grandes équipes hospitalières multidisciplinaires où tout le monde est de garde sur place.
Michèle Scheffler
Dr Michèle Scheffler / En matière d’organisation, il y a une différence nette entre les établissements publics et les établissements privés. Dans le service public, ce sont principalement les sages-femmes présentes sur place qui prennent en charge les femmes lorsqu’elles arrivent. Le médecin de garde ou d’astreinte n’est appelé qu’en cas de nécessité. Dans le privé, la patiente peut traditionnellement choisir son médecin accoucheur : c’est lui, ou son remplaçant au sein de la même équipe, qui sera appelé à son arrivée. Il y a donc là un vrai choix et une personnalisation possible pour les femmes… pour l’instant. Car, depuis cinq ans environ, l’organisation bouge aussi dans les cliniques. Celles-ci fonctionnent de plus en plus par garde ou astreinte, ce qui est moins stressant pour les médecins. Cette évolution est liée à la pénibilité du métier, au risque médico-légal qu’il comporte, à sa féminisation – les femmes médecins s’efforcent de conjuguer vie professionnelle et vie familiale –, à l’épuisement des équipes… et bien sûr au manque d’effectifs. Une nouvelle problématique surgit d’ailleurs dans le service public. Nous assistons, démunis, à une valse de médecins intérimaires, chaque jour différents, ne donnant plus sens aux mots d’organisation du travail en équipe.
Quelle est la situation de la démographie médicale dans ces spécialités et quels sont les impacts pour les praticiens ?
Michèle Scheffler
Dr Michèle Scheffler / Depuis vingt ans, nous assistons dans toutes les spécialités à une baisse démographique. Chaque année, 20 à 80 gynécologues médicaux et 250 à 300 obstétriciens [nombre d’étudiants au stade du choix de l’internat, NDLR] sont diplômés. Au CNPGO, nous militons pour faire remonter le numerus clausus. En parallèle, le nombre de sages-femmes augmente sensiblement. C’est une bonne chose, et une délégation de tâches – le transfert de certaines activités gynécologiques et obstétricales – vers ces professionnelles est en train de se mettre en place. Mais l’obstétricien doit impérativement rester présent. En effet notre société évolue, et l’âge du premier enfant recule : il y a donc davantage de grossesses à risque. De plus, même si la grossesse a été surveillée, qu’aucun problème n’a été identifié… dans 15 % des cas un risque émerge et peut, en quelques secondes, basculer vers l’extrême urgence. C’est pour cela qu’il faut, en permanence, la présence de professionnels compétents et efficaces qui pourront faire, au bon moment, le geste qui sauve.
François Simon
Dr François Simon / Quelles que soient leurs spécialités, les médecins exerçant dans les maternités souffrent d’un handicap commun : la difficulté à trouver des remplaçants et des successeurs. La première raison tient simplement à la démographie : il y a plus d’obstétriciens à quitter l’exercice qu’à y entrer. De plus, parmi ceux qui entrent, fraîchement diplômés, nombreux sont ceux qui s’orientent vers des activités autres : fertilité, stérilité, échographie, gynécologie médicale etc…. Par ailleurs un certain nombre de confrères en exercice, décident de limiter leur activité, soit en cours, soit surtout en fin de carrière. Ils choisissent le plus souvent dans ce cas d’arrêter la pratique des accouchements, exigeante sur le plan de la pénibilité, coûteuse en matière d’assurance et mal rémunérée. Il en va de même chez les anesthésistes et les pédiatres dont la démographie n’est pas plus florissante. L’activité en maternité est exigeante, peu programmée et à risques ; au moment du choix d’un remplacement ou d’une succession, il n’est pas étonnant que la présence d’une activité d’obstétrique devienne un handicap dans un contexte de déséquilibre entre la demande et l’offre.
Jacques Chameaud
Dr Jacques Chameaud / Dans mon établissement, nous avons un gros problème de recrutement, en dépit du fait que nous soyons une ville de CHU. Durant dix ans, nous n’avons pas réussi à faire venir un seul accoucheur, alors qu’il y a eu deux départs à la retraite. Pourtant nous allons à la rencontre des jeunes et nous avons essayé de recruter à l’international, sans succès. L’an prochain, deux de nos accoucheurs prendront leur retraite – après avoir déjà repoussé leur départ, l’un à 65 ans, l’autre à 69 ans. Un autre a démissionné cette année, à 55 ans, car il ne supportait plus la pression des gardes. S’ils ne sont pas remplacés, nous nous retrouverons de nouveau à cinq. Ce n’est pas tenable ! Non loin d’ici, la maternité de Pessac a dû fermer presque du jour au lendemain, en 2016, parce que quatre accoucheurs sur cinq étaient partis à la retraite ou avaient décidé de cesser leur activité d’obstétrique. Un modèle sanitaire est en train de disparaître sous nos yeux, et il semble que personne ne se préoccupe de le remplacer !
Comment les gynécologues-obstétriciens se sentent-ils perçus aujourd’hui ?
Jacques Chameaud
Dr Jacques Chameaud / Pour ma part, j’ai la sensation que notre profession est sinistrée et que cela n’intéresse personne. Cela fait dix ans que je milite activement pour alerter les autorités locales et régionales : qui va s’occuper des femmes de notre région d’ici à cinq ans quand nous aurons tous arrêté ? Le CHU a déjà répondu qu’il était incapable d’assumer cette surcharge de travail, ni en obstétrique ni en chirurgie gynécologique. On lui demande déjà de « boucher les trous » dans les hôpitaux périphériques ! Si rien ne se passe, faute d’équipes, il va y avoir un désert obstétrical, avec ses drames, ses décès… Ou bien nous dirigerions-nous vers une démédicalisation de l’accouchement ? Le développement des maisons de naissance, des salles « nature », le souhait d’accoucher à domicile… ne sont-ils pas le signe que la société civile est consciente qu’elle n’a plus assez d’obstétriciens et qu’elle cherche une réponse au problème ? Derrière chaque maison de naissance, chaque salle nature, il doit y avoir une structure hospitalière accréditée et une équipe complète capable de faire une césarienne code rouge en quinze minutes… Telle est l’obstétrique, et c’est là qu’elle devient violente. En quelques minutes, on passe de l’événement merveilleux au risque vital. Mais c’est violent aussi pour ceux qui exercent !
François Simon
Dr François Simon / Les accusations graves de violences obstétricales, relayées récemment par une campagne médiatique où se sont fourvoyés des politiques, ont particulièrement meurtri et blessé les professionnels de l’accouchement. Les accuser de violence, voire de cruauté à l’égard des parturientes, à partir de chiffres erronés, leur semble injuste. Leur seul souci est de faire en sorte, au terme d’un accompagnement vigilant de la grossesse, que l’accouchement soit vécu comme un moment heureux et si possible merveilleux. Ils y parviennent généralement ; en témoignent l’attachement et le respect qui lient les femmes à celle ou celui qui les a accouchées. Les obstétriciens le savent et ils se remettront de cette campagne médiocre. C’est cette confiance de leurs parturientes qui leur permet d’exercer au quotidien ce métier contraignant, exposé aux risques, pas très bien rémunéré mais, aux dires de tous, passionnant.
Michèle Scheffler
Dr Michèle Scheffler / Rien n’est fait pour rendre la profession attrayante. Et la fermeture des petites maternités engendre une grave inégalité de chances pour les femmes, qui doivent parfois faire une heure de route avant de rejoindre une maternité… Mais je veux voir des aspects positifs. Du point de vue de la formation, la filière de gynécologie-obstétrique est désormais rétablie, alors qu’elle était, il y a dix ans encore, intégrée à la chirurgie. Récemment, une année a aussi été ajoutée à l’internat d’obstétrique : six années de spécialisation pour faire émerger une nouvelle génération de jeunes professionnels très compétents ! De plus, la recertification (1) est dans les rouages. Cela permettra notamment de mieux accompagner les médecins diplômés à l’étranger qui viennent travailler en France : suivis pendant trois mois par un senior, ils pourront compléter leur formation si nécessaire. Les autorités ont aussi mis en place Gynérisq [association professionnelle agréée par la Haute Autorité de santé et créée en 2007], qui, en contrepartie d’une aide financière, incite les obstétriciens à déclarer les événements porteurs de risque qu’ils rencontrent. Cela permet d’améliorer les pratiques, et nous avons par exemple réduit l’occurrence de l’hémorragie de la délivrance, première cause de mortalité maternelle au cours de l’accouchement. Il reste que la situation des accoucheurs est un sujet prioritaire qui doit être soumis à l’avis des Français : ceux-ci doivent être tenus au courant de l’évolution des métiers qui concernent leur santé et dont ils seront les premiers à subir l’impact.
François Goffinet
« Pour la majorité des femmes de 40-45 ans, la grossesse et l’accouchement se passent normalement »
Entretien avec le Pr François Goffinet, gynécologue obstétricien, épidémiologiste, chef de service de la Maternité Port-Royal (Université Paris Descartes) et Directeur du Département hospitalo-universitaire « Risques et Grossesse ».
« Pour la majorité des femmes de 40-45 ans, la grossesse et l’accouchement se passent normalement »

Le nombre de grossesses de femmes quadragénaires a augmenté ces dernières années en France. Comment l’expliquez-vous ? Il s’agit tout d’abord d’une évolution sociétale car les femmes ont accès à plus de responsabilités professionnelles qu’autrefois et de ce fait privilégient parfois dans un premier temps leur carrière par rapport à leur vie de famille. Autres cas de figure que l’on rencontre également : des femmes qui ont trouvé leur conjoint sur le tard ou alors qui ont déjà eu des enfants d’un « premier lit » et souhaitent en avoir un ou plusieurs autres avec leur nouveau compagnon. Autrement, le phénomène s’explique aussi par les possibilités médicales qui s’offrent à elles. Si elles ne parviennent pas à tomber enceinte de manière naturelle, elles peuvent avoir accès à la PMA en France ou partir à l’étranger pour recevoir un don d’ovocytes.

Quels sont les risques et les spécificités de suivi liés à ces grossesses ? Nous constatons plus de problèmes de retard de croissance intra-utérin, d’enfants prématurés, et aussi de cas d’hypertension et de diabète chez les mères. Les fausses couches, causées notamment par le risque accru d’anomalies chromosomiques, sont également plus nombreuses. Mais il faut préciser que pour la majorité des femmes de 40-45 ans qui n’ont qu’un seul bébé dans le ventre, la grossesse et l’accouchement se passent normalement. Il ne faut pas être alarmiste. Certes, on augmente un peu les risques mais cet excès reste à l’échelle individuelle relativement faible sur le plan du risque absolu. Car même s’il double, il ne concernera par exemple pour la prééclampsie que 6% des femmes de 40 ans au lieu de 3% des femmes plus jeunes. Compte tenu de ces risques un peu plus élevés, la prise en charge est un peu plus étroite après 40 ans, on fait passer une ou deux échographies en plus, on surveille plus certaines choses telles que la pression artérielle par exemple. Grâce aux nouvelles techniques, on peut depuis quelques années détecter la trisomie 21, la trisomie 13 et la trisomie 18 sans passer par l’amniocentèse, ce qui diminue les problèmes qui peuvent être rencontrés lors de cet examen. Mais il ne va pas disparaître pour autant car, quand le dépistage est positif, on le pratique malgré tout pour confirmer le diagnostic.

Y a-t-il à votre sens un âge « raisonnable » au-delà duquel une femme ne devrait plus essayer de tomber enceinte ? Non, je ne me permettrais pas de définir un seuil. Il faut simplement garder en tête que plus les années passent et plus le corps est fatigué. Le vieillissement implique des pathologies typiques de la deuxième partie de vie, tels que l’hypertension, le diabète, ou encore des problèmes cardiaques, lesquels apparaissent fréquemment entre 40 et 50 ans. Autrement, j’ai suivi des femmes de 50 ans dont les grossesses se passaient très bien et d’autres d’à peine 40-41 ans pour qui c’était plus difficile…Il n’y a pas de règles. Un avis préconceptionnel au-delà de 40 ans peut être utile, en particulier pour des femmes ayant déjà certaines pathologies.

Le regard porté sur ces grossesses tardives a-t-il selon vous évolué ? Oui, je trouve que ces 10-15 dernières années, la vision du monde médical et de la société en général a changé. Il y a encore peu de temps, il était vu comme « anormal » d’attendre un enfant après 40 ans. Cette évolution de la perception est bénéfique car elle permet aux femmes d’arriver en consultation sans se sentir jugées et ainsi de vivre leur grossesse et leur accouchement comme les femmes plus jeunes.

Myriam Szejer
« Les femmes nourrissent souvent une culpabilité intense lorsqu’elles sont victimes de dépression après un accouchement »
Entretien avec Myriam Szejer, pédopsychiatre et psychanalyste. Présidente de La Cause des bébés, association pluridisciplinaire qui milite pour « l’éthique du sujet Bébé ».
« Les femmes nourrissent souvent une culpabilité intense lorsqu’elles sont victimes de dépression après un accouchement »

La dépression du post-partum est parfois confondue avec le baby-blues. Or, ce sont deux maux bien distincts… Oui, avec le baby-blues, on se situe dans le physiologique alors qu’avec la dépression du post-partum, on entre dans le pathologique. Le baby-blues est une déstabilisation psychique qui survient avec le contre-coup de l’accouchement. Il apparaît en général vers le 3e jour et se traduit par un syndrome dépressif. La grande majorité des femmes passe par cette phase mais son intensité est variable, si bien que chez certaines d’entre elles, elle est si discrète qu’elles n’auront pas l’impression d’avoir été touchées. Pour d’autres en revanche, le baby-blues sera beaucoup plus intense et l’on pourra alors se demander s’il ne s’agit pas d’une entrée dans une dépression du post-partum. Dans ces cas, il convient de le traiter au plus tôt. Une consultation auprès d’un psychologue et éventuellement d’un psychiatre sera alors nécessaire. Mais en général, le baby-blues dure seulement de quelques heures à quelques jours et se résout spontanément, sans traitement médicamenteux.

A quel moment la dépression du post-partum intervient-elle et existe-t-il des moyens de l’éviter ? Elle peut survenir très vite, parfois dès le lendemain de l’accouchement, ou se manifester seulement au bout de plusieurs mois. Dans certains cas, je prescris un traitement avant même l’accouchement, notamment à des femmes qui ont des antécédents psychiatriques de type dépressif ou ont déjà connu des dépressions du post-partum lors de leurs précédents accouchements. Certains produits, compatibles avec la grossesse et l’allaitement, peuvent être donnés 15 jours ou un mois avant l’accouchement. Ils constitueront une sorte de protection dans les jours suivant la naissance.

Quelles peuvent être les conséquences d’une dépression du post-partum sur l’enfant ? Cela dépend beaucoup de la manière dont la dépression est prise en charge. La jeune maman peut délaisser son enfant ou au contraire nouer avec lui un lien excessif, obsessionnel. Certains bébés pleureront tout le temps, seront très nerveux. D’autres en revanche, se révéleront complètement amorphes, car ils ne voudront pas « déranger ». Il faut autant s’inquiéter d’un enfant trop calme que d’un enfant trop agité. Des bébés peuvent en outre somatiser et développer des problèmes digestifs, respiratoires ou cutanés, sur lesquels l’attention va se focaliser alors que c’est la mère qui va mal.

Comment traiter ces dépressions une fois qu’elles ont été détectées ? Elles se soignent plutôt bien avec des antidépresseurs. J’utilise également ponctuellement des médicaments traitant l’anxiété et les troubles du sommeil. Il faut par ailleurs bien entendu que les femmes bénéficient d’une psychothérapie de soutien, dont la durée sera très variable selon les cas.

Les femmes consultent-elles spontanément lorsqu’elles se sentent mal après un accouchement ? Pas suffisamment à mon sens. Elles nourrissent souvent une culpabilité intense lorsqu’elles sont victimes de dépression après un accouchement, puisqu’elles sont censées être dans une phase très heureuse. Par conséquent, elles ont plutôt tendance à ne rien dire et à souffrir en silence. Je remarque toutefois que certaines d’entre elles, bien informées, consultent plus qu’avant. De plus, dans la plupart des maternités, le personnel est aux aguets et propose des consultations avec un psychologue, voire avec un psychiatre. Quant aux sages-femmes libérales intervenant en post-partum, elles savent en général repérer ces dépressions. Mais beaucoup de cas passent néanmoins à travers les mailles du filet. Des progrès pourraient notamment encore être faits au niveau des formations des pédiatres et des médecins généralistes.

Ghada Hatem
« En matière de soin, les femmes précaires n’ont pas du tout les mêmes préoccupations »
Entretien avec le Dr Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis. En 2016, elle a créé la Maison des femmes qui accueille des patientes en situation de vulnérabilité.
« En matière de soin, les femmes précaires n’ont pas du tout les mêmes préoccupations »

Quelles sont les particularités des patientes que vous soignez, que ce soit à l’hôpital Delafontaine ou à la Maison des femmes ? Nous accueillons beaucoup de femmes très précaires et beaucoup d’immigrées, dont certaines arrivent tout juste en France. Le rapport que ces femmes ont à la grossesse est totalement différent. Pour elles, ce n’est pas une maladie, ce qui explique qu’elles ont parfois du mal à respecter le suivi que nous mettons en place. Certaines ne viennent qu’aux urgences, voire qu’à l’accouchement. Cela nous demande une certaine adaptabilité. Et puis elles ont plein d’autres problématiques. Nous avons des patientes qui dorment dans la rue et ont souvent été victimes de violences, de viol. Elles peuvent être amenées à se prostituer pour un repas, un toit ou autre chose. Elles mangent n’importe quoi, pourvu que ce ne soit pas cher (chips, aliments gras et sucrés, kebabs) et donc ont plus souvent du diabète et de l’hypertension. Tous ces déterminants sociaux interagissent avec la grossesse. Pour autant, ces femmes ne sont pas dans une exigence agressive vis-à-vis des soins comme peuvent l’être certaines patientes.

Quel regard portez-vous sur les nouvelles attentes des patientes en matière de démédicalisation de l’accouchement ? Les femmes que nous accueillons n’ont pas du tout les mêmes attentes que celles qui ont dénoncé les violences obstétricales. Elles sont plutôt heureuses et reconnaissantes d’avoir été mieux traitées que dans leur pays d’origine où leur parole ne vaut rien et où elles n’ont en général pas d’attention médicale spécifique. Elles ne vont pas nous reprocher une épisiotomie, ni d’appuyer un peu trop sur leur ventre pour aider le bébé à sortir. Cela donne une toute autre dimension à ce débat. J’en ai discuté avec les représentantes du CIANE (Collectif interassociatif autour de la naissance). Nous avons constaté que les femmes qui ont témoigné d’un manque de respect des soignants sont souvent issues de catégories sociales élevées. Les femmes précaires sont absentes de ce débat, et loin de ces préoccupations.

En tant que soignant, est-ce plus compliqué de traiter cette patientèle ? Le plus compliqué est la barrière de la langue. C’est très difficile de soigner quand on ne peut pas communiquer, et on bricole souvent. Nous avons aussi recours à l’interprétariat, mais cela implique une consultation deux fois plus longue. C’est un surcoût et nous nous faisons régulièrement épingler par l’administration car nous consommons trop d’interprètes. Nous accompagnons aussi nos patientes sur le plan social, pour qu’elles fassent valoir leurs droits et qu’elles aient accès aux soins. Nous prenons également le temps de transmettre des messages de prévention pour qu’elles mangent mieux, se fassent suivre plus régulièrement. A l’hôpital de Saint-Denis, il y a un certain militantisme chez les soignants. Nous avons fait le choix de travailler avec cette patientèle et nous en avons l’habitude. Je pense qu’il est important de rester motivé par le fait d’offrir une qualité de soin adaptée à chaque patient. J’ai exercé à la maternité des Bluets, à Paris. Il est vrai que les besoins et les préoccupations des patientes n’y étaient pas exactement les mêmes. Mais c’est à nous de nous adapter. Et même face à des patients précaires, pauvres, non francophones, et donc moins exigeants, il faut maintenir une grande exigence de qualité de soin et de bienveillance.

Madi Abdou
« A Mayotte, des patientes arrivent le jour de l’accouchement sans n’avoir eu aucun suivi »
Entretien avec le Dr Madi Abdou, l’un des sept gynécologues-obstétriciens de Mayotte, la plus grande maternité de France.
« A Mayotte, des patientes arrivent le jour de l’accouchement sans n’avoir eu aucun suivi »

En 2017, 9 674 bébés sont nés à la maternité de Mayotte. La natalité ne cesse d’augmenter. En quoi cela complexifie la prise en charge des femmes enceintes ? A Mayotte, nous avons une très forte activité avec beaucoup d’accouchements et très peu de médecins. L’hôpital est un pôle de cinq sites. A Mamoudzou, l’équipe chirurgicale prend en charge tous les accouchements pathologiques venant des maternités périphériques. C’est le cas par exemple de Dzaoudzi, l’île située en face de Mamoudzou. Cette petite maternité compte 12 lits. En cas de complication, la patiente doit être transférée à Mamoudzou en barge. Et il arrive qu’en pleine nuit, il faille louer la barge. Le trajet peut prendre jusqu’à une heure. En moyenne, les transferts prennent entre 15 et 45 minutes. A Mamoudzou, nous avons 7 salles d’accouchement, une seule salle pour les urgences, qui nous permet de réaliser une césarienne « code rouge » dans les temps. Si besoin, nous pouvons utiliser le bloc central, mais il faut quand même déplacer la patiente à un étage inférieur. Nous avons des salles de pré-travail mais elles ne suffisent pas. Il arrive que toutes les salles soient occupées, et que des femmes doivent accoucher sur des brancards, ou en salle d’attente. Aujourd’hui, à Mayotte, plus de 500 femmes accouchent à domicile. Elles appellent quand le travail commence et accouchent avant que les pompiers arrivent. Certaines donnent naissance dans les taxis.

Il n’y a aujourd’hui que sept gynécologues obstétriciens titulaires à Mayotte. Quelles sont les conséquences de ce sous-effectif ? Nous avons un vrai manque de médecins, et il est compliqué de gérer l’afflux de patientes. Nous accueillons des jeunes médecins, des internes, mais nous avons besoin de médecins senior. Actuellement, nous avons quelques remplaçants qui viennent mais, ils restent quelques mois seulement, et ce n’est pas suffisant. Nous avons 17 postes « budgétés », alors que nous ne sommes que 7 titulaires. Nous atteignons 12 médecins avec les remplaçants, mais le problème n’est pas résolu. En conséquence, nous ne pouvons traiter que les urgences obstétricales. Nous n’avons plus de temps pour faire de la gynécologie en dehors des accouchements. Dans cette situation, il est impossible de traiter correctement toutes les patientes.

Quels sont les principaux risques auxquels sont confrontées les femmes enceintes ? Beaucoup de femmes ne veulent pas déclarer ou annoncer leur grossesse par peur du mauvais œil. Il arrive qu’elles viennent, le jour de l’accouchement sans n’avoir eu aucun suivi. Souvent, elles ont de la tension, du diabète… Nous avons aussi beaucoup de patientes qui préfèrent que tout début du travail se déroule chez elles et qui n’arrivent à l’hôpital qu’au moment de l’accouchement. Cela augmente les risques de souffrance fœtale ou de mort utérine… Certaines utilisent des breuvages pour accélérer l’accouchement, car elles ne veulent pas rester trop longtemps à la maternité et risquer la césarienne. Avec les sages-femmes nous menons un important travail de prévention. Le message commence à passer, nous avons réussi à augmenter les suivis de grossesses.

Mayotte a aussi la particularité d’avoir un taux de péridurale très peu élevé. A quoi est-ce dû ? Quand je suis arrivé à Mayotte, en 1999, nous ne faisions aucune péridurale. Aujourd’hui, cela concerne environ 12% des accouchements. Nous pourrions en faire plus. Beaucoup de nos patientes ne connaissent pas vraiment la péridurale et ne comprennent pas bien son utilité. Il faut dire qu’à Mayotte, la plupart des femmes accouchent très rapidement et assez facilement.

Bresil
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Brésil

Le Brésil, champion des césariennes de convenance

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Le Brésil est le pays du monde où le taux de césarienne est le plus élevé. En 2015, selon l’OMS, 55,6 % des naissances ont eu lieu au bloc opératoire. Un chiffre qui dépasse les 80 % dans les maternités privées. Bien loin des 15 % à 20 % recommandés par l’OMS. Pourquoi un nombre aussi important de césariennes ? La première explication est économique. Un accouchement par voie basse nécessite plus de temps pour les personnels soignants, qui sont payés à l’heure. Il implique aussi d’importantes équipes de garde, jour et nuit. Pour les maternités, il est donc plus rentable de programmer le jour et l’heure des accouchements.

La seconde raison vient des demandes des femmes elles-mêmes. De nombreuses Brésiliennes, dès le début de leur grossesse, disent préférer donner naissance par césarienne. Pour elles, c’est la possibilité de planifier leur congé maternité… et d’échapper aux douleurs des contractions. Culturellement, pour les Brésiliennes, la césarienne est synonyme de modernité.

Une tendance qui n’est pas sans danger, pour la mère comme pour l’enfant. En 2017, l’Unicef a tiré la sonnette d’alarme et lancé une campagne pour inciter les mères à respecter le déroulement naturel de la naissance.

Pays-bas
Pays-bas
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L’accouchement à domicile : aux Pays-Bas, c’est normal

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Les Pays-Bas, comme d’autres pays du nord de l’Europe, ont conservé la tradition de l’accouchement à domicile, proposé à toutes les femmes dont la grossesse ne présente pas de complication. La sage-femme libérale qui a suivi la future maman prend en charge la naissance, en général secondée par une aide-soignante. Seule condition : être à moins de quarante-cinq minutes d’une maternité.

En 2017, un Néerlandais sur six est ainsi né en dehors de l’hôpital. Un chiffre qui est pourtant en baisse. En 2005, 29 % des naissances avaient lieu à domicile, contre 16   aujourd’hui. Au début des années 2010, des études européennes ont montré que le taux de périmortalité aux Pays-Bas était en légère hausse, contrairement aux autres pays européens. Les médias ont incriminé les accouchements à domicile, et de plus en plus de femmes ont choisi l’hôpital, jugé plus sûr.

Beaucoup de structures hospitalières ont alors installé dans leurs locaux des maisons de naissance. La parturiente peut s’y rendre avec sa sage-femme libérale. L’environnement y est plus intime et les appareils techniques sont réduits au minimum. La jeune maman peut sortir au bout de quatre heures après un accouchement par voie basse. Elle fait alors appel à une kraamzorg, une aide-soignante spécialisée qui l’assiste dans les tout premiers jours du bébé.

Japon
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Au Japon, la péridurale est marginale…

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Si, en France, plus de 70 % des femmes ont recours à la péridurale, c’est loin d’être le cas dans tous les pays. Au Royaume-Uni, par exemple, quatre femmes sur cinq souhaitent s’en passer. Même chose en Italie, aux Pays-Bas ou en Allemagne.

C’est le cas également au Japon, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, la péridurale coûte très cher. De rares établissements la proposent, et, pour en bénéficier, il est nécessaire de la demander à l’avance. Cela implique en général de déclencher l’accouchement. L’autre raison est culturelle. Les Japonais ont une tradition de médecine naturelle, par les plantes, et consomment donc très peu de médicaments. Enfin, ils ont une perception particulière de la souffrance. La douleur de l’accouchement est jugée naturelle et censée préparer la future mère aux difficultés de la maternité.

Monde
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Pays en developpement

Pays en développement : une mortalité maternelle encore élevée

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Selon l’OMS, 830 femmes meurent chaque jour de causes évitables liées à la grossesse et à l’accouchement, dont 99 % dans des pays en développement. Si ce chiffre reste très élevé, il est en baisse depuis vingt ans. En Afrique subsaharienne, un certain nombre de pays ont réduit de moitié le taux de mortalité maternelle depuis 1990. Dans d’autres régions, dont l’Asie et l’Afrique du Nord, des progrès encore plus considérables ont été réalisés. Dans les pays à haut revenu, la quasi-totalité des femmes bénéficient d’au moins quatre consultations anténatales, de l’assistance d’un agent de santé qualifié lors de l’accouchement et de soins post-partum. Dans les pays à faible revenu, sur l’ensemble des femmes enceintes, un peu plus de 40 % avaient bénéficié en 2015 des quatre consultations anténatales recommandées.

Toujours selon l’OMS, seules 51 % des femmes des pays à faible revenu bénéficient de l’assistance d’un personnel qualifié lors de l’accouchement. Autrement dit, des millions de naissances ont lieu sans l’assistance d’une sage-femme, d’un médecin ou d’une infirmière qualifiée.

Ce sont les femmes pauvres vivant dans des zones reculées qui ont le moins de chances de recevoir des soins médicaux appropriés. Cela est particulièrement vrai dans les régions où les travailleurs de santé qualifiés sont peu nombreux, comme l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud.

La lutte contre la mortalité maternelle fait partie de la Stratégie mondiale de l’OMS. L’Organisation espère faire passer le taux mondial de mortalité au-dessous de 70 pour 100 000 naissances. Ce taux est actuellement de 12 pour 100 000 dans les développés et de 239 pour 100 000 dans les pays en développement.

RenaudBenichou

Dr Renaud Bénichou

Dr Renaud Bénichou
Gynécologue-obstétricien à la polyclinique Jean-Villar de Bruges (33).
« Nous avons réussi à baisser significativement notre taux de césariennes »

« En 2012, un classement du magazine Le Point plaçait notre maternité avant-dernière au niveau de son taux de césariennes, qui était effectivement alors extrêmement élevé [29,6 %, NDLR]. Les médecins en poste à l’époque avaient pour habitude de déclencher beaucoup d’accouchements, ce qui avait eu pour conséquence d’augmenter de manière artificielle le nombre de césariennes, sans parfois réellement respecter la physiologie ni le désir des femmes. Nous étions par conséquent confrontés, lors des grossesses suivantes de ces patientes, à des utérus cicatriciels qui impliquaient une seconde césarienne. Cet article a fait naître une réflexion au sein de notre établissement. C’est justement cette année-là que la Haute Autorité de santé (HAS) a mis en place des recommandations de bonnes pratiques et a voulu les faire appliquer par des maternités volontaires. Ce programme nous a offert l’occasion de nous autoévaluer et de mettre en place une EPP (évaluation des pratiques professionnelles) sur la pertinence des césariennes programmées.

Nous avons par ailleurs instauré des réunions hebdomadaires qui nous ont permis de modifier nos pratiques en dialoguant entre médecins et en confrontant nos expériences. Ainsi, chaque cas est précisément étudié en tenant compte de l’avancement de la grossesse, du poids du bébé, de la façon dont il se présente ainsi que des éventuelles pathologies de la mère, telles que le diabète. Après cela seulement, nous statuons si la césarienne est justifiée ou non. Tous les mois, un tableau recensant les actes de chaque praticien permet par ailleurs de comparer nos activités.

Nous remettons aux patientes une feuille leur expliquant que la césarienne n’est pas un acte aussi anodin qu’un accouchement par voie basse. Auparavant, des femmes venaient dans notre clinique spécifiquement parce qu’elles savaient qu’elles pouvaient y bénéficier de césariennes et, pour certaines d’entre elles, il s’agissait de demandes de convenance. Au fil du temps, nous avons répondu aux attentes de la HAS. Grâce à ces initiatives, nous avons réussi à baisser significativement notre taux de césariennes d’année en année. C’était la première fois que la Haute Autorité de Santé mettait en place ce type de programme de pertinence, et l’effet escompté a également été obtenu au niveau national. Outre des résultats quantitatifs, il a permis d’homogénéiser les pratiques des différentes maternités par le biais de critères communs.

Au sein de la clinique, nous avons aujourd’hui atteint un taux de 21 %. Notre objectif est de nous approcher de la moyenne nationale qui se situe aux alentours des 20 %. Mais, au-delà des chiffres, notre souhait est surtout de continuer à faire un travail pertinent et conforme aux recommandations actuelles. »

OlivierPinel

Dr Pierre Opinel

Dr Pierre Opinel
Cancérologue, gynécologue-obstétricien, chef de pôle de la maternité du centre hospitalier intercommunal Aix-Pertuis (Chiap).
« L’approche “Naître enchantés” garantit la coopération des professionnels de santé et des parents lors de l’accouchement »

« Depuis cinq ans, nous, médecins, sages-femmes, psychologues, chefs d’établissement, chercheurs, cadres administratifs et parents du Chiap, cherchons à contribuer à relever un des challenges du XXIe siècle dans nos maternités : conjuguer en toute circonstance sécurité et humanité lors de la mise au monde de l’être humain de demain. Nous pensons en effet qu’il est de notre devoir de répondre aux attentes des femmes de se réapproprier la naissance de leur enfant et aux attentes des hommes d’y participer activement.

L’approche « Naître enchantés » nous a semblé la plus pertinente et efficace pour atteindre cet objectif. En amont de l’accouchement, le couple suit un « entraînement » de cinq séances pour s’approprier des outils comportementaux et cognitifs. Parmi eux, l’expression vocale ajustée [EVA, une vibration sonore dirigée émise vocalement par les parents à chaque contraction, NDLR]. Cela apprend à rester responsable et serein quelles que soient les conditions techniques.

Ces techniques garantissent en effet la coopération des professionnels et des parents dans la prise en charge des douleurs physiques et psychiques en maternité, et ce quelles que soient les conditions et l’issue de la grossesse (PMA, péridurale, césarienne, IMG…).

Face aux contraintes budgétaires des hôpitaux et notamment des maternités, il convient de redéfinir en profondeur les règles d’organisation. « Naître enchantés » y répond en proposant un travail en amont du parcours de soins de la femme enceinte, auquel le père est associé, permettant le jour de l’accouchement une présence moins soutenue des équipes médicales et moins de soins. Les besoins de participation active, offrant responsabilité et autonomie aux parents, sont pris en compte et deviennent même prioritaires. Les parents « Naître enchantés » coopèrent ainsi avec l’équipe médicale, qui, elle, assure tous les protocoles de sécurité pour le bon déroulement du travail et de la délivrance.

Une étude randomisée de 300 couples primipares évaluant les bénéfices des cinq séances de « Naître enchantés » par l’EVA est en cours. Et les témoignages des équipes de prises en charge ainsi que des parents ayant bénéficié de la méthode se révèlent déjà très positifs. »

www.naitreenchantes.com – Contact : s.rodriguez@ch-aix.fr

CHUdAngers

Dr Philippe Gillard & Martine Bourel-Herault

Dr Philippe Gillard & Martine Bourel-Herault
chef de service et gynécologue-obstétricien & sage-femme, cadre supérieur du pôle femme-mère-enfant au CHU d’Angers.
« Nous avons ouvert un espace physiologique au CHU »

« Forts du constat que de plus en plus de patientes étaient demandeuses d’accouchements moins médicalisés, nous avons ouvert un espace physiologique au sein du CHU en 2011. Il offre aux femmes l’occasion de profiter d’une prise en charge plus naturelle tout en intégrant le même niveau d’équipement que les autres salles, ce qui permet d’y gérer d’éventuelles complications. Il dispose en outre d’un variateur de lumière, d’une table d’accouchement spécifique et d’un espace bain adjacent destiné à soulager les femmes pendant leurs contractions. On se rapproche donc au plus près d’une chambre classique, d’autant plus que le matériel médical y est dissimulé.

En amont du jour J, nous demandons aux femmes enceintes de rédiger leurs souhaits sous forme de projet de naissance. Nous avons à cœur de leur offrir un suivi personnalisé à la carte et de nous adapter à leurs desiderata, y compris pendant le travail. Ce n’est pas parce qu’elles ont choisi cet espace qu’aucun médecin ne sera ensuite présent ou qu’elles ne pourront pas bénéficier d’une péridurale ou de médicaments. Seules une centaine de patientes privilégient un accouchement 100 % naturel sur les 4 000 qui donnent naissance au CHU d’Angers chaque année.

L’ennemi, c’est le retard au dépistage : l’épidémie non diagnostiquée entretient une charge virale communautaire élevée et donc les chaînes de transmission, alimentant les presque 7 000 contaminations annuelles

Dans la même logique, nous avons développé la personnalisation des soins à tous les niveaux, de la préparation à l’accouchement aux suites de couches. Nous proposons notamment une forme d’hôtellerie médicalisée post-accouchement. Nous ne sollicitons plus les patientes à des moments imposés, ce sont elles qui viennent vers nous quand elles le souhaitent. Un système de petit déjeuner à la carte sous forme de buffet avec de larges plages horaires est par ailleurs mis à leur disposition. Ces services, très appréciés, leur évitent d’être réveillées intempestivement et leur permettent de vivre à leur rythme et à celui de leur bébé. Enfin, nous favorisons des sorties de l’hôpital précoces comprenant un suivi par des sages-femmes. De nombreuses jeunes mères expriment en effet le désir de rentrer rapidement chez elles après la naissance de leur enfant. »

FrancisPuech

Pr Francis Puech

Pr Francis Puech
gynécologue-obstétricien, président de L’Initiative hôpital ami des bébés (IHAB).
« Hôpital ami des bébés, pour améliorer l’accompagnement des parents »

« Les découvertes de ces trente dernières années ont démontré que la naissance devait avoir lieu dans des conditions de sécurité physique mais aussi psychique qui permettent une « empreinte » positive et des liens d’attachement essentiels pour le développement cognitif et sociocomportemental de l’enfant.

Les améliorations viendront de la mise en place et/ou du respect des recommandations scientifiques récentes de l’OMS1 et de la HAS2. Ces dernières traduisent la prise de conscience de l’impact des pratiques obstétricales et des soins aux nouveau-nés à la naissance sur le lien mère-enfant et sur l’allaitement.

Lancée par l’OMS et l’Unicef, l’Initiative hôpital ami des bébés (IHAB)3 – qui a fait ses preuves au niveau international et se développe en France depuis 2000 – est un programme d’accueil et d’accompagnement bienveillant des nouveau-nés et de leurs parents qui répond aux attentes de ces derniers. Constitué de soins individualisés centrés sur l’enfant et sa famille, il implique directement les parents et les professionnels dans les services de maternité et de néonatalogie. Il offre ainsi une expérience positive de l’accouchement, dans le respect de la physiologie de la naissance et des souhaits des mères, en toute sécurité et dans le respect des contre-indications comme des complications obstétricales. Reposant sur un argumentaire scientifique étayé, il renforce le travail en réseau en pré- péri- et postnatalité pour assurer la continuité des soins.

L’IHAB remet en avant le processus fondamental d’attachement qui repose sur deux grands principes d’éthique médicale. D’une part, la bienveillance, qui est reconnue comme fondamentale par les professionnels. D’autre part, l’autonomie, car il s’agit à la fois de donner la confiance et les clés aux parents pour vivre pleinement l’accouchement, l’allaitement ainsi que les soins au nouveau-né. Parmi les outils proposés, deux sont essentiels pour renforcer l’attachement : le peau-à-peau et l’allaitement. Le label IHAB est accordé aux maternités et néonatalogies qui respectent douze recommandations de bonnes pratiques, dont l’une est entièrement consacrée au travail et à l’accouchement. À ce jour, en France, 112 000 naissances par an (soit une sur sept) ont lieu dans l’une des trente-trois maternités labellisées IHAB ou dans la quarantaine en cours de labellisation. Le Haut Conseil de la santé publique recommande par ailleurs, dans le cadre de la politique nationale nutrition-santé (PNNS2017-2021) que toute maternité, et toute néonatalogie, mette en œuvre les recommandations IHAB. »

1. www.cochrane.org/news/cochrane-evidence-used-new-who-guideline-intrapartum-care-positive-birth-experience 2. www.has-sante.fr – Décembre 2017 : « accueil du nouveau-né en salle de naissance 3. https://amis-des-bebes.fr

Manala

Céline Bruderer et Caroline Schoch

Céline Bruderer et Caroline Schoch
Sages-femmes à la maison de naissance Manala, à Sélestat (67)
« Nous espérons voir naître d’autres maisons de naissance grâce à notre expérimentation »

« En 2013, notre groupe de sages-femmes libérales a commencé à réfléchir à la création d’une maison de naissance. Le chef du service obstétrique de la maternité de Sélestat s’est montré enthousiaste, et des locaux vides y étaient disponibles. C’est ainsi que, deux ans plus tard, nous avons pu implanter la maison au même étage que la maternité, dans un bâtiment attenant relié par un couloir. La mise en place des protocoles médicaux et des protocoles de transfert vers la maternité a nécessité une collaboration avec les différents services de l’hôpital (maternité, anesthésie, Smur, pharmacie et services techniques) bien avant l’ouverture de la maison de naissance. Dès le début de notre activité, de nombreuses réunions de « débrief » avec l’équipe médicale nous ont ensuite permis d’apprendre à travailler harmonieusement ensemble.

Certaines femmes viennent nous voir en tout début de grossesse, mais nous les accueillons jusqu’à six mois de grossesse. Nous organisons des réunions d’information tous les mois, au cours desquelles les couples peuvent visiter les locaux et échanger avec nous. Des ateliers abordant divers sujets liés à la grossesse et à la parentalité sont en outre fréquemment proposés.

Les motivations de nos patientes sont variées. La principale est bien sûr d’accoucher le plus naturellement possible. Le retour rapide à la maison – entre quatre et huit heures après l’accouchement – est également un aspect auquel elles attachent de l’importance, tout comme le fait d’être suivies par les mêmes personnes tout au long de leur grossesse, le jour de l’accouchement et après la naissance. Nous avons formé deux trinômes de sages-femmes qui prennent en charge le suivi de grossesse, auxquels s’ajoute un troisième trinôme de sages-femmes de soutien pour les accouchements. Pendant leurs consultations médicales mensuelles et les huit séances de préparation, les patientes ont ainsi l’occasion de rencontrer les sages-femmes, dont l’une d’elles sera à leurs côtés le jour J. Certaines situations, telles qu’une césarienne antérieure ou une hypertension, ne permettent pas d’accoucher à la maison de naissance, et nous ne pouvons donc pas répondre à toutes les demandes. Ainsi, 40 % des femmes venues nous voir au départ ne donneront pas naissance chez nous.

Notre objectif aujourd’hui est de pratiquer cent à cent cinquante accouchements par an au sein de notre structure. Mais aussi de constituer un laboratoire de la physiologie en France, puisque les maisons de naissance n’y existent que depuis peu. Une femme allemande, belge, hollandaise ou québécoise sait pertinemment qu’elle peut accoucher à l’hôpital ou en maison de naissance. Les femmes françaises ne sont de leur côté pas toutes au fait de ce choix qui s’offre à elles. Nous espérons pouvoir pérenniser notre maison et en voir naître d’autres grâce à notre expérimentation. »

OlivierAmi

Dr Olivier Ami

Dr Olivier Ami
informaticien, gynécologue-obstétricien et radiologue.
« L’emploi de logiciels de simulation ultraréalistes permet de réduire le nombre de césarienne »

« Un accouchement peut être violent, mais il convient d’expliquer pourquoi. Lorsque j’ai commencé mon internat de gynécologie-obstétrique, je me suis passionné pour l’imagerie IRM et pour ce qu’elle pourrait apporter à l’obstétrique, au point d’y consacrer ma thèse d’exercice.

En 2013, notre équipe a réalisé les premiers accouchements sous IRM français dans une IRM à champ ouvert, à Evry. Nous avons pu observer que près de la totalité des enfants subissent une compression cérébrale, plus ou moins forte, au passage du canal de naissance. Une compression importante définit une situation de dystocie céphalo-pelvienne, avec toutes ses conséquences connues : stagnation de la dilatation, risque d’hémorragie, déformation cérébrale en « pain de sucre », handicap, épilepsie…

De ces observations nous avons tiré des modèles précieux pour comprendre la biomécanique obstétricale en 3D et concevoir des logiciels de simulation de l’accouchement ultraréalistes (Predibirth, SIM 37), qui font appel à des calculs mathématiques et à l’intelligence artificielle.

L’emploi de ces logiciels permet de diminuer le nombre des césariennes en urgence, celui des césariennes programmées inutilement et, surtout, de réduire le nombre d’accouchements traumatiques pour la mère comme pour l’enfant.

Le logiciel SIM 37 est notamment capable de diminuer le risque pour le cerveau de l’enfant à naître de subir une ischémie et/ou une hémorragie. La littérature internationale rapporte en effet depuis plus de cinquante ans que des hémorragies cérébrales totalement asymptomatiques surviennent lors d’un nombre important d’accouchements par les voies naturelles. Et ces traumatismes cérébraux sont actuellement complètement ignorés et sous-évalués, tant dans leurs conséquences que dans leur besoin d’être pris en charge. Le type de contusions cérébrales observées en imagerie dans les accouchements se rapproche du cas déjà très étudié des enfants secoués et présente une évolution tout aussi préoccupante.

La disparition des accouchements traumatiques, pour le périnée de la mère comme pour le cerveau du nouveau-né, est une étape nécessaire. L’imagerie, couplée à la simulation et à l’intelligence artificielle, devrait améliorer le choix éclairé des femmes enceintes concernant la voie d’accouchement. »

Ce webzine vous est proposé par le Conseil national
de l'Ordre des médecins - www.conseil-national.medecin.fr
Juin 2018

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Dr Walter Vorhauer

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Marine Loyen, Émilie Tran-Phong

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