Le webzine de l'Ordre des médecins - Les clés de l'information santé

WebzineSanté

#11
Juin 2019

Les anciens numéros

Lucas
Dr Jacques Lucas
Vice président du Conseil national de l’Ordre des médecins
« Notre système de santé et de protection sociale a été pensé pour assurer la prise en charge des pathologies aigues. Il y excelle toujours. »

Notre système de santé et de protection sociale a été pensé pour assurer la prise en charge des pathologies aigues. Il y excelle toujours. Mais aujourd’hui, et grâce notamment aux progrès de la médecine, la plupart de ces pathologies aigues guérissent ou se transforment en pathologies dites au long cours. Nous avons assisté à l’émergence des maladies chroniques dont les patients atteints peuvent, assez souvent, continuer à vivre presque normalement. Il devient essentiel de réexaminer l’ensemble de l’organisation de notre système de santé et de protection sociale ainsi que la formation des médecins et des professionnels de santé. Les maladies au long cours nécessitent une prise en charge pluri-professionnelle. Un sujet que nous avions abordé dans un précédent webzine.

Les progrès liés au traitement des pathologies aigues et au suivi des maladies chroniques contribuent au vieillissement de la population. C’est heureux. Mais cela créé un nouveau défi de prise en charge de la dépendance et des pathologies nouvelles liées à l’âge, voire au grand âge. Indépendamment de la maladie et des pathologies au long cours, le vieillissement en lui-même nécessite des prises en charge coordonnées des différents professionnels de santé certes, mais aussi des différents acteurs des secteurs médico-social et social.

Notre système de protection sociale va devoir concevoir un financement pour assurer une prise en charge des personnes âgées qui soit à la fois humaniste et médicale. Le vieillissement devient un sujet social, économique, médical et politique. Ce webzine a été conçu pour contribuer aux réflexions sur ce sujet.

L’espérance de vie
en France

85,4 ans pour les femmes

79,5 ans pour les hommes
3,9 millions
de Français

apportent une aide
quotidienne à un proche âgé.
40 %
des personnes
qui décèdent
ont été dépendantes
Un population âgée de plus en plus nombreuse
1990
6,6%
de la population a
plus de 75 ans
2015
9,1%
de la population a
plus de 75 ans.
1 265 000 personnessont en perte d’autonomie
Et en
2050?

5 millions de Français auront plus de 85 ans, soit 3,2 fois plus qu’en 2017.
2,2 millions de personnes seront en perte d’autonomie. On comptera 40 000 personnes
de plus chaque année à partir de 2040.

Les établissements
d’hébergement pour personnes
âgées dépendantes (Ehpad)
7 573 Ehpad en France
50 % dans le secteur public,
28 % dans le secteur privé non lucratif,
22 % dans le secteur privé lucratif.
608 000 résidents
Quel reste à charge pour les personnes âgées ?
En Ehpad
À domicile

5 millions de Français auront plus de 85 ans, soit 3,2 fois plus qu’en 2017.
2,2 millions de personnes seront en perte d’autonomie. On comptera 40 000 personnes
de plus chaque année à partir de 2040.

60 euros par mois, pour les personnes en maintien à domicile.

L'APA
Qu'est-ce
que c'est ?
30 milliards
d'euros

C'est le coût de la dépendance en
France, financée à 80% par l'Etat.

830 000

personnes sont employées à temps
plein auprès des personnes âgées
en perte d’autonomie.

63 % des Ehpad éclarent avoir
au moins un poste non pourvu
depuis 6 mois ou plus.

APA : allocation personnalisée d’autonomie
Cette allocation sert à payer une partie des dépenses nécessaires au maintien à domicile, ou d’un hébergement
en établissement médico-social.
760 000 personnes âgées en bénéficient, dont 60 % vivent à domicile
ISOLEMENT
50 %
des personnes de plus de 75 ans n'ont
plus de réseau amical actif.
900 000
des personnes de plus de 60 ans et plus
sont isolées de cercles amicaux et
familiaux.
tel: 3977
Numéro d’appel pour
signaler un cas de
maltraitance contre
une personne âgée.
3556 appels
ont été enregistrés
en 2018. C’est 400 de
plus qu’en 2017 et
1000 de plus qu’en
2016.
Sources : Rapport Grand âge et autonomie, Dominique Libault, mars 2019.
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf
Alors que le rapport Libault, point d’orgue de la concertation Grand âge et autonomie, a été rendu en mars 2019, la question de la prise en charge de nos aînés fait débat. Comment est-elle assurée, que ce soit à domicile, en établissement de soins ou d’hébergement ? Quelles sont les évolutions à opérer ? Des représentants des différents secteurs nous livrent leur point de vue.
Line Lartigue Doucouré
Line Lartigue Doucouré
directrice Politiques publiques et réglementations sectorielles à l’Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile (UNA)
Professeur Olivier Saint-Jean
Professeur Olivier Saint-Jean
chef du service de gériatrie à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris), professeur de gériatrie à l’université René-Descartes
Dr Nathalie Maubourguet
Dr Nathalie Maubourguet
médecin généraliste, médecin coordonnateur en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (Ffamco)
Quel est, selon vous, l’état des lieux du système français de prise en charge du grand âge ?
Nathalie Maubourguet
Nathalie Maubourguet / Depuis presque vingt ans que j’exerce les fonctions de médecin coordonnateur, qui m’amènent à coordonner les projets de soins au sein de trois Ehpad, j’ai vu la situation évoluer sensiblement. À l’origine, les maisons de retraite avaient essentiellement pour vocation l’hébergement facilitant la vie sociale des personnes à la retraite. Mais les choses ont changé : la moyenne d’âge a augmenté pour atteindre 85 ans ; les résidents prennent en moyenne entre huit et dix médicaments et souffrent d’environ six à huit pathologies ; et le niveau de dépendance a progressé, passant de 25 % de résidents classés « GIR 1 et 2 » (le groupe ISO-ressources définit le niveau de perte d’autonomie, les GIR 1 et 2 étant les plus élevés, ndlr) à presque 75 % aujourd’hui. Tout cela entraîne des besoins accrus en termes de prise en charge, à une époque où les budgets « soins » sont de plus en plus difficiles à défendre et les professionnels de plus en plus rares.
Professeur Saint-Jean
Professeur Saint-Jean / Le principal problème de notre système est lié à son organisation. Il existe une fragmentation majeure de la politique gérontologique, entre le médical et le social, et une juxtaposition complexe et peu lisible de dispositifs d’aide et d’accompagnement. Toutes les tentatives pour organiser et coordonner les filières et les acteurs ont échoué : cela semble trop compliqué pour les professionnels du champ comme pour les autorités ministérielles ! Pour preuve, l’orientation actuelle, qui est de basculer l’ensemble du dispositif des « vieux » vers le médico-social, pour amener le sanitaire vers les plateformes territoriales d’appui que mettent en place les ARS (PTA, décidées en 2016 par loi de modernisation du système de santé, ndlr). En somme, on est encore en train de fragmenter ! Nous en sommes là, à la croisée des chemins...
Line Lartatigue
Line Lartigue-Doucouré / Notre constat est similaire : l’aide à domicile a été touchée par une succession de réglementations qui engendrent un problème de structuration de l’offre. Surtout depuis la loi Borloo : en 2005, elle a ouvert le champ au secteur privé lucratif, créant un système à deux vitesses. Les acteurs publics, que représente l’UNA, sont soumis aux contraintes du Conseil départemental, alors que les acteurs privés reçoivent leur agrément de la Directte 1. Il y a donc un problème de lisibilité pour les professionnels, les financeurs et, surtout, les usagers et les aidants qui ne savent pas toujours à quel type de structure ils ont à faire, ni ce qu’ils paient (entre l’APA – l’allocation personnalisée d’autonomie –, le reste à charge, les frais de service dans le privé…). Quant aux structures, face à la faiblesse de la rémunération de leurs interventions, elles sont nombreuses à fermer chaque année.

(1) Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.
Quelles sont les conditions de travail dans votre secteur ?
Pr Saint-Jean
Pr Saint-Jean / A l’hôpital, la gériatrie pourrait s’en sortir plutôt bien car cette spécialité est très bien payée en tarification à l’activité (T2A) : depuis quinze ans, cela nous a aidés à augmenter notre nombre de lits et leur diversité. Il n’en reste pas moins que l’hôpital public dans son ensemble est à bout de souffle. Ma spécialité a connu une très forte évolution en deux décennies et a besoin de professionnels nombreux et compétents : dans mon service, la moyenne d’âge des patients est de 89 ans ; ils présentent souvent des morbidités multiples, des troubles cognitifs et un risque de perte d’indépendance fonctionnelle. Mais les jeunes médecins sont peu attirés par ce métier, moins bien rémunéré que dans le privé, idem pour les infirmiers et les aides-soignants. Si les gros centres gériatriques se portent bien, les plus petits commencent à être en difficultés et il devient difficile d’y maintenir le projet de soins.
Line Lartigue-Doucouré
Line Lartigue-Doucouré / Face à la restriction de leurs budgets, les Conseils départementaux, qui financent à 70 % l’APA (le reste étant pris en charge par l’État, ndlr), demandent aux services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) de contraindre leurs coûts, nous obligeant à recourir à des professionnels peu qualifiés. Des personnels que, même non diplômés, nous avons beaucoup de mal à recruter ! Il faut dire que les conditions de travail sont peu attractives : temps partiels, interventions 7 jours/7, rémunération de 800 euros en moyenne, tout cela pour s’occuper de personnes ayant des problématiques très complexes et un haut degré de perte d’autonomie… Résultat : l’an dernier, 19 % des demandes d’aide à domicile n’ont pu être prises en compte. Pour les usagers et leurs familles, il y a un vrai risque de mauvais accompagnement et de maltraitance.
Nathalie Maubourguet
Nathalie Maubourguet / En Ehpad, c’est simple : aides-soignants et infirmiers sont à bout. Leur métier est difficile, la charge de travail très importante, car les résidents sont de plus en plus dépendants et souffrent pour la plupart de troubles mnésiques. Aux tâches d’accompagnement et d’aide directe auprès des résidents, il est demandé aux équipes de formaliser et tracer chaque acte de suivi individuel. Cette traçabilité, certes fondamentale, est chronophage alors même que les équipes sont rarement au complet. Les salaires sont peu attractifs en regard de la lourdeur de la tâche. Conséquence : les professionnels s’épuisent, se font mal… même les jeunes sont touchés. Dans ces conditions, nous avons beaucoup de mal à fidéliser les personnels et à recruter. En moyenne, 20% des postes infirmiers et 30 % des postes d’aides-soignants sont vacants. D’une manière générale, les médecins coordonnateurs s’inquiètent de cette désertification du secteur par les professionnels. C’est pourquoi, à la Ffamco, nous continuons d’alerter les pouvoirs publics de la réalité du terrain.
Quelles sont les forces sur lesquelles peut s’appuyer notre système de prise en charge ?
Line Lartatigue-Doucouré
Line Lartigue-Doucouré / Déjà, ce secteur existe : dans certains pays, le sort des aînés repose sur les familles ou l’emploi non déclaré ! Ces dernières décennies, la prise en charge du grand âge a connu de grandes évolutions, avec par exemple la création des Ssiad dans les années 1980, la mise en place de l’APA en 2002... Cela permet d’accompagner un grand nombre de personnes à domicile, notamment des publics dépendants : aujourd’hui, le niveau de dépendance des usagers à domicile est presque aussi élevé qu’en établissement. Par ailleurs, les acteurs innovent : plateformes de services avec les Ehpad, passerelles entre services, lancement d’actions de prévention… Si nous voulons relever le secteur et répondre aux enjeux de la société dans les dix ans à venir, appuyons-nous sur ces atouts !
Nathalie Maubourguet
Nathalie Maubourguet / N’oublions pas que nous avons la chance de bénéficier d’un système de Sécurité sociale qui permet à tous de se soigner et d’avoir accès à l’ensemble des médicaments disponibles. En Ehpad, la fonction de médecin coordonnateur est aussi un gros point fort de notre système d’accompagnement des personnes âgées. Les missions de ce praticien salarié sont fixées par décret depuis 1999, que l’établissement soit public, associatif, commercial… C’est essentiel. Enfin, les objectifs fixés au niveau national pour la lutte contre la maltraitance, la dénutrition, la prise en charge des troubles du comportement, sur le circuit du médicament ou encore le risque infectieux vont dans le bon sens ! Reste que nous faisons ce que nous pouvons pour mettre en pratique ces recommandations au regard des moyens octroyés.
Pr Saint-Jean
Pr Saint-Jean / Nous avons, en France, un système relativement performant, en comparaison avec d’autres pays développés. En Belgique, par exemple, le système d’aide à domicile est terriblement défaillant. Notre politique de la vieillesse vise à permettre de rester le plus longtemps possible chez soi, et c’est très bien. Nous disposons d’une offre à domicile riche, en diversité et en moyens – mais dont l’avenir est très fragile. Côté gériatrie, nous avons progressé avec des capacités d’accueil qui se sont considérablement améliorées en quarante ans. Il y a un grand nombre d’acteurs mobilisés sur le terrain, et cela aboutit à des choses très positives. En témoigne l’âge d’entrée en institution (84 ans et 5 mois en moyenne en 2018, selon la Drees, ndlr) qui augmente régulièrement. Maintenant, nous pourrions faire beaucoup mieux si nous étions mieux organisés.
Quelles évolutions préconisez-vous ?
Pr Saint-Jean
Pr Saint-Jean / Il est essentiel de stimuler l’offre gériatrique en ville pour que des gériatres libéraux puissent prendre en charge les patients à leur sortie d’un séjour hospitalier. C’est pourquoi je prône, dans la prise en charge de certains cas complexes, d’injecter de la compétence gériatrique en pleine prérogative de soins à domicile. Dans l’une des unités où je travaille, nous allons mener une expérimentation : en cas de besoin, nous ferons « sortir » un duo médecin-infirmière pour soigner des patients à domicile. Nous essayons également d’inventer une unité de soins de longue durée à domicile. Par ailleurs, il nous faut mieux prendre en compte la parole des personnes âgées : ceux qui parlent pour elles (familles, associations) ne sont pas toujours représentatifs. Nous devons à la fois mieux comprendre ce qu’elles vivent au quotidien et définir qui parle en leur nom.
Line Lartigue-Doucouré
Line Lartigue-Doucouré / Nous avons donc une attente forte à l’égard de la future loi autonomie : qu’elle remette à plat le système de l’accompagnement à domicile pour assurer son sauvetage, qu’elle réponde aux attentes des personnes et leurs familles, qu’elle assure le virage ambulatoire et qu’elle s’adapte aux évolutions de la société. Pouvoir vivre chez soi dans de bonnes conditions est, et sera de plus en plus, la demande numéro un des familles. Nous demandons donc à ce que soient décloisonnés les secteurs de l’accompagnement à domicile, à ce que toutes les organisations aient un cadre d’exercice transversal, afin de créer un service médico-social à domicile complet. Et nous estimons qu’un investissement de 1,7 milliard d’euros est nécessaire pour assurer cette transition.
Nathalie Maubourguet
Nathalie Maubourguet / Si des moyens conséquents ne sont pas octroyés dans les meilleurs délais, nous ne pourrons plus assurer une prise en charge individuelle et personnalisée adaptée au niveau de soins requis en Ehpad. Il faut un vrai coup de pouce budgétaire pour éviter que le système se grippe : une enveloppe équivalente à celle que Philippe Bas (lorsqu’il était ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, handicapées et à la Famille, ndlr) avait consacrée en 2006 à son plan Solidarité grand âge (2,7 milliards d'euros engagés pour la période 2007-2012, ndlr). De créer de nouvelles structures afin de pallier le manque de services de gériatrie dans les hôpitaux et la saturation des urgences : des hôpitaux gériatriques où l’on accueillerait les patients très âgés, dans toutes les spécialités médicales, en tenant compte de leur spécificité et de leur complexité.
La dégradation des capacités physiques

Biologiquement, le vieillissement est le résultat des dommages moléculaires et cellulaires du corps liés au temps. C’est une dégradation progressive des capacités physiques et mentales avec une augmentation des risques de maladie, se terminant par le décès.
Si le vieillissement n’est pas linéaire et ne se traduit pas de la même manière chez toutes et tous, on peut observer des récurrences : déficit auditif, cataracte, dégénérescence maculaire liée à l’âge, lombalgies et cervicalgies, arthrose, bronchopneumopathie chronique obstructive, diabète, dépression et démence… Ces troubles peuvent s’additionner les uns aux autres.
La vieillesse se caractérise également par l’apparition de plusieurs états de santé complexes qui ne surviennent généralement que tard dans la vie et ne constituent pas des catégories de maladie distinctes. C’est ce que l’on appelle des « syndromes gériatriques » tels que la fragilité, l’incohérence, l’incontinence…

La perte d’autonomie

La perte d’autonomie correspond à la dégradation de la capacité à effectuer seul les activités du quotidien. Cette dépendance varie selon les individus et peut être physique (motricité) ou mentale/psychologique (mémoire, incohérence…). Elle est l’un des facteurs majeurs qui pousse les seniors et leur entourage à prendre des dispositions d’accommodation de l’habitat ou à choisir d’être placé en établissement de type Ehpad. Il existe une allocation dédiée à ce problème de santé publique : l’APA, allocation personnalisée d’autonomie, servant à payer les dépenses liées à la perte d’autonomie (frais d’Ehpad, accommodation du domicile privé, aide à domicile…). En 2015, 1 265 000 personnes âgées étaient concernées. Elles devraient être 1 582 000 en 2030 et 2 235 000 en 2050. Aujourd’hui, 40 % des personnes qui décèdent en France ont connu une perte d’autonomie

Les troubles de la mémoire et les troubles cognitifs

Les troubles de la mémoire et les troubles cognitifs peuvent avoir diverses causes. Chez les personnes âgées, ces troubles peuvent être modérés et simplement liés à une dégradation générale de l’organisme comme la régénération moins efficace des cellules. Ils peuvent aussi être le signe d’une pathologie neurodégénérative comme les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson. La disparition progressive et irréversible des cellules nerveuses entraîne le déclin continu des capacités cognitives comme la mémoire, l’orientation dans le temps et l’espace, le langage, pour la maladie d’Alzheimer ; ou des troubles de la mobilité pour la maladie de Parkinson. Si ces maladies ne sont pas liées au vieillissement, elles apparaissent plus fréquemment chez les personnes âgées. Quatre patients atteints de la maladie de Parkinson sur cinq sont âgés de plus de 50 ans. Et 99 % des malades d’Alzheimer ont plus de 60 ans.

La solitude et l’isolement

Le vieillissement de la population est en corrélation directe avec la solitude et l’isolement que peuvent ressentir les personnes âgées. En effet, les seniors sont les plus concernés par le veuvage et l’absence de cercle social et amical. 50 % des personnes de plus de 75 ans n’ont plus de réseau amical actif et 900 000 personnes âgées de 60 ans et plus sont isolées de cercles amicaux et familiaux.
La perte du conjoint, l’éloignement des enfants ou la perte de mobilité mènent souvent à l’isolement et au sentiment de solitude. Quand ce dernier devient trop fort, il peut mener à des pathologies telles que la dépression. Il est donc nécessaire pour les personnes âgées de tenter d’entretenir des réseaux de sociabilité et de chercher ou demander de l’aide auprès de spécialistes. La sensibilisation du reste de la population à ces problématiques doit aussi être améliorée.

La dépression et le suicide

Chez les seniors, il existe un lien important entre les troubles cognitifs, les troubles de la mémoire liés à l’âge, et la dépression. En effet, les personnes âgées sont davantage confrontées à des pertes et des bouleversements (veuvage, hospitalisation, isolement…). Il ne faut pas réduire les troubles cognitifs et mémoriels à une simple perte de capacité chez les seniors, mais envisager également l’aspect psychique pouvant se révéler extrêmement nocif.
Les personnes âgées de plus de 65 ans représentent la tranche de la population la plus à risque de décès par suicide, notamment lorsqu’elles souffrent d’isolement, de précarité, de troubles dépressifs ou d’autres pathologies… En 2015, environ 38 % des morts par suicide étaient des personnes âgées de 65 ans et plus.



C’est en croisant des points de vue divers que chacun peut se faire une opinion

Anne-Sophie Pelletier
« Les aides-soignants ne sont pas assez nombreux, c’est une maltraitance institutionnelle »
Anne-Sophie Pelletier, ancienne aide à domicile, aide médico-psychologique en Ehpad, auteure du livre « Ehpad, une honte française » (éditions Plon)
« Les aides-soignants ne sont pas assez nombreux, c’est une maltraitance institutionnelle »

Quelles sont les difficultés de la prise en charge des personnes âgées en Ehpad ? L’État ne met pas assez de moyens pour qu’à domicile ou en Ehpad, les prises en soins – je préfère ce terme à celui de prise en charge, car les personnes ne sont pas des objets – se fassent dans la dignité qui est due à chaque individu. Par exemple, les montants de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) n’ont pas été réévalués depuis plusieurs années. En outre, lorsque l’état de santé d’une personne bénéficiaire se dégrade, plusieurs mois sont nécessaires pour obtenir le certificat d’aggravation nécessaire à l’augmentation de son APA et une meilleure prise en soins. En Ehpad, les aides-soignants ne sont pas assez nombreux, cette situation conduit à une maltraitance institutionnelle. La société est « jeuniste », la vieillesse et la dépendance font peur. Je pense qu’il faudrait une éducation à la vieillesse, dès l’école, car on ne parle jamais des personnes âgées et dépendantes. D’ailleurs, les Ehpad sont situés hors des villes, hors de la citoyenneté : les personnes âgées ne font plus partie de la cité.

Quelles peuvent être les solutions ? Nous observons l’émergence des « babayagas », c’est-à-dire de personnes âgées qui ont un projet commun de vie. Il y a aussi les maisons familiales qui accueillent plusieurs personnes âgées. Dans le Jura, des « Cantou » (centres d’activités naturelles tirées d’occupations utiles) se sont créés. Il s’agit de petites maisons de retraite qui regroupent une dizaine de personnes. Ces solutions se développent surtout dans les territoires ruraux où le lien social existe encore. Nous devons avoir une vraie démarche collective adaptée aux réalités locales, nous manquons d’une vision globale. Les politiques n’ont pas anticipé la démographie et le vieillissement de la population, ainsi que les problèmes de dépendance. Mais il faut garder espoir. La société est en train de changer et de prendre conscience qu’il faut respecter les personnes âgées, les familles et les soignants.

Vous évoquez le manque d’aides-soignants. N’y a-t-il pas assez de vocations pour travailler auprès des personnes âgées ? Je pense qu’il y a un problème culturel. Le métier à domicile ou dans des structures n’est pas valorisé en termes de salaires, de formation et d’évolution professionnelle. Il y a un vrai besoin de formation des aides à domicile, dans les secteurs médico-social et social. Or, il existe des passerelles entre les différents métiers mais elles ne sont pas connues. La validation des acquis de l’expérience (VAE) peut permettre de devenir aide-soignant sans passer le concours. Ce n’est pas assez connu et les personnes doivent vraiment chercher les informations. Il faudrait aussi revoir le concours et les enseignements. Les jeunes aides-soignants ne sont pas préparés à travailler avec des personnes âgées, les enseignements doivent être adaptés aux réalités du terrain. Mieux les personnes seront formées, plus elles resteront chez leur employeur et auprès des personnes âgées.

Florence Leduc
« Les aidants ne doivent pas être une variable d’ajustement »
Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants
« Les aidants ne doivent pas être une variable d’ajustement »

Quel est l’enjeu de la prise en charge des personnes âgées et/ou dépendantes ? Aujourd’hui, l’immense défi est celui de la longévité : des personnes de plus en plus nombreuses vivent de plus en plus longtemps. 20 % de personnes âgées ont des pathologies comme Parkinson ou Alzheimer et vivent en Ehpad, et 80 % vivent plutôt en bonne santé. Or, le nombre de personnes âgées augmente, mais les proportions restent identiques. Actuellement, le choix pour les personnes âgées se résume à rester chez soi ou aller en établissement. Cependant, les difficultés liées à la vie quotidienne telles que la préparation des repas, les courses, l’entretien de la maison, la toilette ne nécessitent pas forcément d’aller en maison de retraite mais simplement d’avoir une aide. L’enjeu est l’offre de services qui existe sur les territoires, qu’il s’agisse d’aide à domicile, d’accueil de jour, de maisons de retraites. Il y a une méconnaissance de cette offre. Dans le même temps, il y a plusieurs structures – Clic, Maia… –, et trop d’expérimentations. Il faut regrouper les structures et clarifier l’offre, et regarder si le territoire est suffisamment pourvu de services ou non.

Les aidants jouent un rôle essentiel. Quelles sont leurs difficultés ? Les difficultés des aidants sont nombreuses. Les conjoints d’une personne âgée malade ont une espérance de vie inférieure à celle de leur époux ou épouse car ils s’épuisent. Ils n’ont pas de répit. Les enfants qui aident leurs parents âgés font souvent partie de ce que j’appelle la « génération sandwich » : ils sont en activité, ont encore des enfants à charge et doivent s’occuper de leurs parents.
Un deuxième point est important : celui des soins. Ce ne sont pas les aidants familiaux qui doivent réaliser des soins ni même faire la toilette de la personne âgée, il n’est pas naturel d’entrer dans l’intimité de ses parents. Les aidants doivent être à leur juste place, ils ne sont pas non plus une variable d’ajustement, la vision de la société sur ce sujet doit évoluer. Ils doivent avoir accès à des professionnels et à des financements. Une loi sur la dépendance est obligatoire, le vieillissement et la dépendance nous concernent tous.

Quel peut être le rôle des médecins ? Le médecin doit être particulièrement informé afin de connaître les dispositifs, leurs forces et faiblesses, pour orienter les personnes âgées car il est pratiquement leur seul interlocuteur. Il doit pouvoir évaluer leur situation et leur proposer des solutions adaptées à condition d’être bien informé en amont, d’être en position d’avoir une réelle lecture de ce qui existe sur le territoire. Le problème est que plusieurs acteurs interviennent dans cette offre : conseil départemental, ARS… Le grand point de faiblesse est aussi l’aide à domicile. Les services sont souvent montrés du doigt en termes de rémunération et de professionnels, alors que certains sont bien rodés et disposent de personnel formé. Il faut donc vraiment faire l’effort de connaître les services et de savoir par exemple le nombre d’auxiliaires de vie dont ils disposent.

Nicole Jacquin-Mourain
« Il faut développer l’interprofessionnalité entre les professionnels libéraux »
Nicole Jacquin-Mourain, gériatre, ancienne présidente de l’Association des gériatres et gérontologues libéraux (Anggel), cofondatrice et directrice médicale et scientifique de Anggel'Dom
« Il faut développer l’interprofessionnalité entre les professionnels libéraux »

Quelles sont aujourd’hui les difficultés de prise en charge des personnes âgées et/ou dépendantes à domicile ? Le fait que les personnes âgées n’anticipent pas leur dépendance est l’un des problèmes les plus importants. Elles ne prennent pas de mesures pour pouvoir rester chez elles. Par exemple, elles ne vont pas aménager leur domicile pour faciliter la vie quotidienne en installant une douche à l’italienne ou des prises électriques en hauteur, ou bien en enlevant les tapis, à l’origine des chutes. La société refuse de voir la vieillesse et veut rester dans le monde doré du jeunisme. Les gens doivent comprendre qu’ils vont vieillir. Seulement 11 % de personnes font connaître leurs directives anticipées sur leur fin de vie.
Le deuxième problème est la difficulté à trouver des aides à domicile en raison notamment des salaires peu motivants. Le personnel est aussi souvent peu formé. Il manque également de reconnaissance. Or, aujourd’hui, les enfants ne peuvent pas toujours être présents. Ils vivent et travaillent loin de leurs parents, parfois à l’étranger. Les familles sont également recomposées. La prise en charge des parents par les enfants peut se révéler compliquée.

Quel peut être le rôle des médecins et en particulier des gériatres ? Les gériatres pratiquent une médecine globale de la personne. Ils considèrent le patient dans son ensemble et dans son environnement. Malheureusement, la gériatrie, notamment dans le secteur libéral, est peu développée en France. Nous ne sommes même pas une cinquantaine de gériatres libéraux sur le territoire ! La spécialité est reconnue depuis 2004, mais il n’y a pas de nomenclature des actes. Je pense que les médecins généralistes auraient intérêt à travailler de concert avec les gériatres afin de développer la prévention des pathologies évitables et une meilleure prise en soins des fragilités et des polypathologies quand elles sont installées.

Comment peut-on mieux prendre en charge les personnes âgées à domicile  ? Il faut développer les services à domicile et la formation de ceux qui veulent travailler auprès des personnes âgées, ainsi que l’interprofessionnalité entre les professionnels libéraux. J’ai créé une start-up qui permet de coordonner des équipes autour du médecin traitant et du gériatre afin d’intervenir au domicile des personnes. Le travail en équipe est primordial. En ville, les différents professionnels – médecins, infirmiers, kinésithérapeutes… – sont motivés. Les objets connectés, pour le suivi des pathologies des personnes isolées ne pouvant pas se déplacer, représentent une solution intéressante. Si les données de santé révèlent un problème, le médecin appelle le patient pour qu’il applique le protocole en prévention. La télémédecine constitue une bonne piste, même si elle ne peut pas résoudre toutes les situations. Il faut aussi encourager les personnes à ne pas vivre seules. De nouvelles formules se développent telles que les colocations ou les maisons intergénérationnelles.

Samir Fadel
« Les dispositifs pour les personnes atteintes d’Alzheimer sont méconnus »
Samir Fadel, infirmier coordinateur accueil de jour Apamad de Riedisheim
« Les dispositifs pour les personnes atteintes d’Alzheimer sont méconnus »

En quoi consiste un accueil de jour pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ? Les accueils de jour peuvent recevoir les personnes malades une ou plusieurs journées dans la semaine. Nous leur proposons plusieurs activités : ateliers de cuisine ou de jardinage, jeux de mémoire, gymnastique douce, sorties et spectacles. Nous travaillons aussi le développement de l’estime de soi et de l’expression individuelle avec par exemple le chant et la musique, ou des ateliers d’activités manuelles. Les accueils de jour permettent ainsi aux patients de retrouver une vie sociale, de sortir de chez eux et créer du lien. Ils donnent également aux aidants l’opportunité de souffler, d’avoir du répit, mais aussi un soutien en trouvant une écoute et en pouvant rencontrer d’autres familles dans la même situation. Aider une personne souffrant d’Alzheimer est en effet épuisant.

Quelles sont les difficultés de ce type de prise en charge ? Le premier constat est qu’il y a une grande confusion entre l’hôpital de jour et l’accueil de jour. L’hôpital a pour principal objectif le diagnostic. L’accueil de jour a pour vocation de proposer des activités dans un but thérapeutique. Dans la maladie d’Alzheimer, les traitements médicamenteux ne fonctionnent pas vraiment. Une prise en charge non médicamenteuse mais psychosociale est essentielle. Le deuxième constat est la méconnaissance du dispositif d’accueil de jour. Les médecins traitants, les professionnels de santé libéraux et les familles ne savent pas souvent que des accueils de jour existent. A notre niveau, l’Apamad a un maillage assez important en étant présent à Mulhouse, Wittenheim et Riedisheim, Colmar, Saint-Louis, Lièvre ainsi qu’à Rouffach et sur les vallées Thur et Doller avec son accueil de jour itinérant. Nous avons également de nombreux partenaires – Conseil départemental du Haut-Rhin, ARS, communes, hôpitaux de jour, etc. – mais les professionnels libéraux et les familles ne se tournent pas d’emblée vers nous. En fait, tant que les personnes et les familles ne sont pas confrontées à la maladie et les conséquences sur l’aidant, elles ne s’intéressent pas aux dispositifs existants. Et lorsqu’elles le sont, elles agissent alors dans l’urgence.

Quelles peuvent être les pistes d’amélioration ? Déjà, nous aimerions pouvoir intervenir plus tôt dans la prise en charge. Ensuite, l’offre doit être développée face à l’augmentation du nombre de personnes âgées atteintes d’Alzheimer. Le coût de la prise en charge pour les familles peut aussi constituer une difficulté. Il faut qu’il y ait une véritable politique qui prenne à bras-le-corps le problème et mette en œuvre différentes solutions pour les patients. Aujourd’hui, l’accueil de jour est l’antichambre de l’Ehpad. Certains viennent presque tous les jours de la semaine en accueil de jour pour éviter d’aller en Ehpad. Enfin, il faut plus de coordination entre les acteurs de la santé et ceux du médico-social, y compris les associations. Le décloisonnement est primordial afin de pouvoir construire des parcours de soins simples et raisonnés sur un territoire.

Aujourd’hui, l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire le nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes, s’élève en France à 64,9 ans pour les femmes et 62,6 ans pour les hommes 1. Comment faire pour vieillir en forme plus longtemps ?
Christophe Trivalle
Christophe Trivalle
médecin gériatre, auteur du livre 101 conseils pour être bien dans son âge et dans sa tête (éd. Robert Laffont)
Isabelle Donnio
Isabelle Donnio
psychologue spécialiste du vieillissement, chargée d’enseignement à l’École des hautes études en santé publique (Ehesp), co-auteure de l’ouvrage Les vieux sont-ils forcément fragiles et vulnérables ? (éd. Érès).
Roland Krzentowski
Roland Krzentowski
médecin du sport, fondateur de la maison sport santé Mon stade et de l’agence de promotion de l’activité physique pour la santé ClinicProSport
Aujourd’hui, il y a de plus en plus de personnes âgées de plus de 85 ans. Quel est leur état de santé ?
Christophe Trivalle
Christophe Trivalle / Globalement, les seniors sont plutôt en bonne santé. Même si, avec l’âge, les maladies chroniques ont tendance à s’accumuler, elles sont le plus souvent bien prises en charge et stabilisées et donc il n’est pas rare de voir des personnes de plus de 85 ans se sentir en forme. Mais, à un moment, la situation peut se décompenser brutalement : un problème de santé apparaît soudainement, puis une cascade d’autres, amenant très rapidement à la dépendance sans que la personne et sa famille ne s’y attendent et n’aient pris le temps de s’y préparer. Par ailleurs, les risques neurodégénératifs, notamment de maladie d’Alzheimer, augmentent avec l’âge, passant de 5 % aux alentours de 65 ans à 40 % chez les plus de 95 ans. L’un des enjeux de l’accroissement de la longévité est de prévenir le développement de telles pathologies, qui conduisent inéluctablement à la dépendance.
Isabelle Donnio
Isabelle Donnio / C’est la première fois qu’une société connaît une telle « révolution de la longévité ». Alors que nos grands-parents ne pouvaient pas imaginer ce que ce serait de vivre aussi vieux, aujourd’hui nous pouvons nous en faire une idée. Pourtant, bien que la dépendance, c’est-à-dire le besoin d’avoir au moins une aide pour se lever de son fauteuil et prendre soin de son corps, concerne moins de 20 % des plus de 85 ans 2, les gens assimilent encore trop souvent le grand âge à la perte d’autonomie et aux Ehpad. En cause : une société qui valorise sans cesse la jeunesse et la performance, tout en stigmatisant « les vieux qui coûtent cher ». Les représentations négatives de la vieillesse contribuent, pour certains seniors, trop nombreux, à éviter toute projection par peur de cette image « repoussante ». Ils n’anticipent pas les premiers soucis de santé et, quand ces derniers arrivent, ils acceptent mal les solutions proposées pour, justement, préserver leur indépendance (aide auditive, canne, etc.).
Roland Krzentowski
Roland Krzentowski / Pendant longtemps, les médecins se concentraient uniquement sur le suivi d’indicateurs biologiques, génétiques ou d’imagerie. Or, on sait aujourd’hui que la condition physique des patients joue un rôle majeur dans la qualité de leur vieillissement. D’ailleurs, la dépendance survient le plus souvent quand la puissance musculaire et les capacités cardio-respiratoires se dégradent et rendent difficile la réalisation des activités quotidiennes. En fin de vie, ces marqueurs deviennent presque plus importants que le taux de cholestérol. Si une personne est trop vite essoufflée à l’effort, elle finit par ne plus sortir de chez elle et voit sa santé se dégrader rapidement. C’est pourquoi, aujourd’hui, on encourage beaucoup plus les jeunes à se constituer un bon capital de capacité à bouger, et les plus anciens à maintenir ce capital.
Que faire pour que les gens vieillissent en meilleure santé plus longtemps ?
Christophe Trivalle
Christophe Trivalle / Les conseils pour être en bonne santé sont les mêmes à tout âge : ne pas fumer, manger équilibré, bouger, dormir, etc. Mieux vaut les assimiler dès l’enfance car il est ensuite plus difficile de changer ses habitudes. C’est pourquoi la prévention auprès des jeunes est importante. Il faut aussi en faire auprès des adultes, notamment vers quarante ans, quand ils commencent à se préoccuper de leur santé. Même adoptée tard, une bonne hygiène de vie aura toujours un effet bénéfique. Ce aussi bien au niveau physique que cognitif. Il serait en effet possible de de réduire de 35 % le nombre de nouveaux cas d’Alzheimer en agissant sur neuf facteurs de risque parmi lesquels le tabagisme, l’inactivité physique, l’hypertension artérielle, l’obésité et le diabète. Les autres étant le niveau d’instruction, la dépression, la baisse d’audition et l’isolement social.
Isabelle Donnio
Isabelle Donnio / Quand on parle de bien vieillir, on oublie trop souvent d’aborder la dimension psychologique. Pourtant, il est tout aussi important de sortir de chez soi, d’avoir des activités de loisirs et de maintenir du lien social que d’adopter de bonnes habitudes nutritionnelles. Le problème, c’est que notre société ne favorise pas toujours l’inclusion des personnes âgées dans la vie citoyenne. Certaines collectivités, comme Rennes, le font néanmoins. Cela passe par des aménagements pour rendre la ville plus accessible, mais aussi par des politiques favorisant l’intergénérationnel. Tout le monde en bénéficie. En effet, c’est en voyant des seniors actifs et bien dans leur âge que les plus jeunes peuvent se projeter de façon optimiste dans leur propre vieillissement. Ils peuvent voir que changer leur alimentation et se mettre au sport peut réellement maintenir en bonne santé.
Roland Krzentowski
Roland Krzentowski / La pratique d’une activité physique, si elle permet de préserver ses capacités physiques, contribue aussi à cette dimension psychologique. À lui seul, le sport est d’ailleurs reconnu comme une solution thérapeutique efficace contre plusieurs maladies chroniques, y compris contre les troubles anxieux et la dépression. Grâce à la dopamine produite par le corps à l’effort, mais aussi grâce aux résultats obtenus après plusieurs séances (amélioration de performances, perte de graisse, etc.), les patients se sentent mieux dans leur corps et dans leur tête. Ils ont une meilleure estime de soi, donc sont plus à même d’aller à la rencontre d’autres personnes et de sortir de l’isolement. Si le sport est collectif ou pratiqué en groupe, cela favorise également la création de lien social.
Comment prévenir la dépendance quand apparaît le premier souci de santé ?
Roland Krzentowski
Roland Krzentowski / Les médecins ont un rôle important à jouer. Ils sont les seuls à pouvoir convaincre des personnes sédentaires de l’intérêt de faire de l’exercice. L’apparition d’une maladie chronique est l’occasion d’expliquer qu’on a plus de chance de guérir en faisant une activité physique, que cela fait partie du traitement et que cela aura un impact sur la santé à long terme. Le problème, c’est que, même si la loi le permet depuis 2016, beaucoup de médecins hésitent encore à prescrire du sport. Il n’y a pas de label pour les activités physiques adaptées et tous les territoires ne sont pas dotés de structures de sport santé vers lesquelles renvoyer les patients. Les médecins ont donc peur d’engager leur responsabilité en cas de blessure. La mise au sport doit être accompagnée, c’est vrai. Mais il faut rappeler que si le sport peut blesser, la sédentarité est pire : elle tue.
Christophe Trivalle
Christophe Trivalle / L’instauration du sport sur ordonnance est intéressante. Mais cette mesure ne s’adresse qu’aux personnes en affection de longue durée (ALD). Elle ne permet pas de prévenir les maladies chroniques, facteurs de dépendance. En outre, les activités physiques prescrites ne sont pas toujours prises en charge financièrement. Cela dépend des collectivités, des caisses de retraite et/ou des mutuelles. Pour que le sport sur ordonnance fonctionne, il faudrait également qu’il y ait un réseau de lieux dédiés au sport santé, maillant tout le territoire, vers lesquels les médecins pourraient renvoyer leurs patients. Pour ceux qui ne sont pas malades, les ateliers de préparation à la retraite organisés dans les entreprises pourraient être l’occasion de sensibiliser au bien-vieillir, à la nécessité de faire du sport mais aussi de ne pas prendre le risque de s’isoler.
Isabelle Donnio
Isabelle Donnio / Les ateliers de préparation à la retraite se concentrent trop souvent sur les droits sociaux et la santé. Ils devraient inviter davantage les gens à réfléchir à leur avenir, en leur montrant qu’ils ont une part active à jouer dans la qualité de leur vieillissement. Les seniors doivent prendre conscience de l’importance de compenser les conséquences des handicaps, notamment auditifs et visuels, qui entravent leurs activités quotidiennes et leur vie sociale. Le refus des solutions proposées (appareil auditif, aide à domicile, aménagement dans le logement, etc.), de peur d’entrer dans l’image négative de la vieillesse, peut générer des risques d’isolement et de dépression. Au moment de proposer un tel outil, les professionnels doivent tenir compte de l’impact psychologique que cela peut avoir pour le patient, en lui expliquant que c’est le meilleur moyen de préserver son autonomie.
Existe-t-il des méthodes pour améliorer l’état de santé d’une personne âgée dépendante ?
Christophe Trivalle
Christophe Trivalle / Même en commençant à appliquer les règles d’hygiène et d’exercice physique tardivement, on a un gain en termes de santé. Le corps va mieux et, de ce fait, le mental aussi.
Roland Krzentowski
Roland Krzentowski / Quels que soient l’âge et l’état de santé général, il y a une marge de progression importante. Même à plus de 80 ans, il est possible d’améliorer de 300 % ses capacités musculaires en suivant un programme de sport santé pendant six mois. Ce n’est pas négligeable : par exemple, une personne qui n’arrive pas à monter plus de quatre marches alors qu’elle habite au premier étage, si elle peut arriver à en monter douze six mois plus tard, elle aura la capacité de sortir de nouveau de chez elle. L’important, c’est que cette activité physique soit accompagnée, pour un maximum d’efficacité et de sécurité. Elle doit aussi être fréquente (trois fois par semaine), intense (en approchant les capacités maximales de la personne pour générer un progrès) et réalisée pendant une durée suffisante, mais selon un programme adapté à sa condition physique de départ.
Isabelle Donnio
Isabelle Donnio / Quand les gens commencent à avoir des problèmes de santé, une chute par exemple, ils se disent trop souvent que leur vie ne sera plus jamais pareille. Ou alors ce sont leurs proches qui ont tendance à les priver de certaines activités au motif de leur âge avancé. Les conséquences peuvent être pire qu’une nouvelle blessure : perte de confiance en soi, dépression, isolement, réduction du périmètre de marche donc des capacités musculaires, etc. Quand les médecins traitent une fracture, il peut donc être utile qu’ils proposent en plus un accompagnement psychologique et qu’ils expliquent aux proches que les personnes âgées ne doivent pas être « mises sous cloche ». D’ailleurs, pour le montrer, nous avons créé à Rennes un bistrot mémoire qui réunit depuis 2014 des patients atteints d’Alzheimer dans un café de la ville. Cela montre aux plus jeunes que, même atteint de démence, il est possible de vivre avec ces troubles dans la cité et de prendre du bon temps.
(1) Drees, 2019.
(2) Insee, 2016.
Des bénévoles contre l’isolement

Parce que leur tissu social s’appauvrit, parce qu’elles sont de moins en moins mobiles, les personnes âgées sont très souvent touchées par la solitude. En 2014, quarante associations et organismes français se sont réunis au sein d’un réseau de lutte contre cet isolement social : Monalisa. Aujourd’hui, il compte 478 partenaires et intervient dans une soixantaine de territoires français.
Le réseau s’appuie sur des « équipes citoyennes », bénévoles, qui interviennent auprès des personnes âgées isolées de leur quartier ou de leur commune. Spectacles dans les établissements, soirées à thèmes, visites de courtoisie, accompagnement en course ou chez le médecin… Chaque équipe met en place son projet et son programme d’actions, en lien avec les personnes âgées, en gardant une vision positive du vieillissement. Aujourd’hui, près de 300 équipes citoyennes sont présentes aux côtés des personnes âgées.
En reconstruisant des liens sociaux, on lutte contre le sentiment d’inutilité et de dépréciation de soi dont souffrent souvent les personnes âgées isolées. Ces relations renouvelées et réciproques redonnent du sens au quotidien et retardent de ce fait la perte progressive d’autonomie.
Pour en savoir plus : https://www.monalisa-asso.fr/

Un service qui apaise les personnes âgées

Les unités cognitives comportementales (UCC) accueillent pour de courts séjours des personnes âgées perturbées, voire violentes. Situées en soins de suite et réadaptation (SSR), dans un secteur sécurisé avec des professionnels dédiés et spécifiques du soin et de l’accompagnement, elles proposent une réhabilitation cognitive et comportementale sur la base d’un bilan médico-psycho-social.
Les patients qui y sont accueillis sont perturbés ou désorientés mais tous sont autonomes physiquement. Souvent, il s’agit de résidents de maisons de retraite qui n’arrivent pas à s’adapter à un placement en établissement et que le personnel a plus de mal à gérer. Beaucoup sont agressifs. Les professionnels tentent donc de stabiliser ces troubles du comportement tout en assurant les soins à l’origine de la situation de crise.
Dotés d’une dizaine de lits en moyenne, ces services permettent un suivi plus personnalisé que dans les établissements classiques. Les traitements médicamenteux sont réduits et les patients participent à des ateliers quotidiens avec des psychiatres, des gériatres mais aussi des ergothérapeutes, des psychomotriciens... L’objectif est de les apaiser et de réduire leur anxiété.
Les séjours dans ces unités durent en moyenne une quarantaine de jours. Ensuite, les résidents retrouvent leur lieu de vie habituel.

Une ligne d’écoute contre la maltraitance

Plus vulnérables que le reste de la population, les personnes âgées sont susceptibles d’être victimes d’actes de maltraitance. Ces derniers sont rarement révélés et il est difficile d’y apporter une réponse adaptée. Le plus souvent, il s’agit de successions de « petits » actes qui, cumulés créent isolement et souffrance chez les victimes.
En 2008, le gouvernement a lancé un service de téléphonie spécialisé, le 3977, à destination des victimes, de leur entourage, mais aussi des professionnels. Il vise à recueillir les signalements de cas de maltraitance, mais aussi à apporter une aide et un suivi aux appelants. Une équipe d’écoutants professionnels répond à ce numéro du lundi au vendredi, de 9h à 19h. Elle assure la première écoute, l’analyse des appels reçus, l’information immédiate et l’orientation si besoin, notamment vers le réseau de proximité pour un suivi individuel. Le suivi individuel de chaque situation est ensuite assuré par des acteurs locaux, essentiellement des bénévoles spécifiquement formés au sein d’associations spécialisées.
https://3977.fr/

Une crèche à la maison de retraite

Pour favoriser le bien-être des résidents d’Ehpad, certains établissements misent sur les relations intergénérationnelles. Au Creusot, en Saône-et-Loire, la résidence du Canada pour personnes âgées a aménagé au cœur de ses locaux une mini-crèche : le P’tit Epad (établissement pour adorable diablotins). Financée par la Fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France, elle accueille dix enfants qui sont âgés de dix semaines à six ans. Chaque semaine, un atelier réunit ces enfants et les résidents de l’Ehpad qui participent à différentes activités : lecture d’histoire, jeux, chants, cuisine… Ce lien intergénérationnel permet aux personnes âgées de rompre la monotonie de leur quotidien en établissement. Cette initiative vise aussi à cultiver le bien-vivre ensemble et à lutter contre les stéréotypes liés à l’âgisme et à la vie en Ehpad.

Un Ehpad à domicile

Rester chez soi même en situation de dépendance, c’est ce que propose la Croix Rouge française avec l’expérimentation Ehpad@dom. Ce service assure 24h sur 24 et 7 jours sur 7 des prestations similaires à celles proposées en Ehpad mais à domicile, grâce notamment à une plateforme de téléassistance. Les seniors restent chez eux, tout en étant accompagnés par une équipe de professionnels dédiés – aides-soignants, psychomotriciens, psychologues, animateurs… Une aide de vie assure les soins quotidiens et un infirmier d’astreinte peut intervenir à tout moment. Les personnes âgées peuvent également bénéficier d’une aide aux démarches administratives, d’un service de « petits travaux » pour le logement, de portage de repas – ainsi que de tous les services et activités d’un Ehpad de leur département. Celui-ci met alors en place le transport depuis le domicile.
Cette initiative a été lancée fin 2017 par l’Ehpad Stéphanie et le Pôle domicile de Sartrouville, dans les Yvelines. Des dizaines de familles se sont portées candidates et dix-sept profitent aujourd’hui du service. Cette expérimentation pourrait être généralisée mais elle se heurte à la difficulté de recrutement de personnel pour prendre en charge les bénéficiaires.
https://pourvous.croix-rouge.fr/articles/ehpadadom



Domicile
Domicile
Domicile sécurisé

Un domicile entièrement sécurisé par des capteurs

Maison connecté

Alors que les objets connectés sont de plus en plus présents dans notre quotidien, beaucoup voient ces technologies comme un atout pour les personnes âgées. Ces outils peuvent en effet représenter une aide au quotidien pour des seniors en baisse d’autonomie ou légèrement désorientés. C’est ce que pense une équipe de chercheurs d’Inria Bordeaux. Ils ont conçu un système d’assistance à domicile spécialement destiné aux personnes atteintes de déficiences cognitives. Ils se sont entourés de neuropsychologues pour s’assurer de répondre réellement aux besoins.
La solution DomAssist est composée de différents capteurs installés dans tout le logement de la personne âgée. Ils collectent les informations sur les mouvements, l’utilisation électrique, les contacts et permettent une action en cas de problème. Par exemple, dès que le four se met en marche, l’application s’assure que l’utilisateur surveille régulièrement la cuisson. En cas de problème, elle l’alerte. S’il n’y a toujours pas de réponse, elle éteint automatiquement le four. L’application propose aussi : un chemin lumineux pour guider la personne âgée dans le logement, une surveillance de la porte d’entrée, un rappel de rendez-vous mais aussi des jeux et des informations sur les événements locaux.
http://phoenix.inria.fr/research-projects/146-domassist

Bracelet
Bracelet
Télémédecine

Télésurveillance et téléassistance : la clé du maintien à domicile

Télésurveillance

La télésurveillance et la téléassistance font partie des 5 actes de télémédecine définis par la loi de 2009 Hôpitaux Patients Santé et Territoires.
La téléassistance est déjà très répandue chez les personnes âgées qui vivent seules chez elles. En cas de problème (chute, malaise…), elles peuvent contacter une plateforme téléphonique joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 en appuyant sur un médaillon ou une montre portée en permanence. Selon le degré d’urgence de la situation, un proche est contacté ou une intervention est déclenchée pour porter assistance à la personne. Le dispositif peut être complété par un micro haut-parleur pour pouvoir communiquer avec le téléopérateur. Plusieurs associations, mutuelles ou communes proposent ces services qui peuvent être pris en charge dans le cadre de l’Allocation Personnalisée d’Autonimie.
La télésureveillance va un peu plus loin. Elle permet aux médecins et services de santé de prendre connaissance à distance des données recueillies sur le lieu de vie du patient. Ces derniers portent sur eux un outil connecté (par exemple un bracelet) qui capte leurs constantes vitales et fait remonter les données au professionnel de santé. En cas de malaise ou de chute, il est alors possible d’intervenir très rapidement. Ces services sont pour le moment testé dans le cadre d’expérimentations, et pourraient être amenés à généraliser pour les personnes âgées en maintien à domicile.
https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/vivre-domicile/etre-aide-domicile/la-teleassistance

Ordinateurs
Ordinateurs
Analyse prédictive

Anticiper les dégradations physiques avec outils connectés

Médecine prédictive

Menée en partenariat avec le gérontopôle de Toulouse, l’expérimentation 3Pegase propose d’assurer le maintien à domicile des séniors de manière innovante. S’appuyant notamment sur des systèmes de capteurs et des technologies d’analyse prédictive, 3Pegase donne la possibilité d’anticiper des problématiques récurrentes chez les patients seniors, telles que les chutes ou la dénutrition. L’idée est de détecter très tôt et dans la durée des signaux faibles de changements de comportements et de pratiques quotidiennes. Les capteurs permettent ainsi autant d’intervenir rapidement en cas d’accident (chute par exemple), que d’accompagner les patients dans l’évolution de leur maladie, à long terme. Un capteur, placé dans la cuisine permet ainsi de vérifier si la personne continue à s’alimenter régulièrement. Un autre, grâce à la consommation d’eau, nous aide à déterminer si elle prend soin de son corps. Les médecins du Gérontopôle ont accès à ces données et aux résultats des algorithmes via la plateforme collaborative de suivi des patients. L’expérimentation a été lancé fin 2017 et les premiers résultats seront connus fin 2019.
https://www.chu-toulouse.fr/-3pegase-

Robot
Robot
Robotique

Un robot d’accompagnement pour les malades d’Alzheimer

Robot phoque

Très répandu au Japon et aux États-Unis, le robot Paro, qui se présente comme un phoque en peluche, est utilisé en atelier d’animation et en thérapie relationnelle notamment pour les malades d’Alzheimer. Il a été développé en 1993 par l’équipe du Pr Shibata. Son efficacité a été montrée dans plusieurs études, notamment sur la diminution du niveau de stress, la communication et le renforcement des liens sociaux. Sa présence incite au contact verbal et tactile et à exprimer ses émotions. Elle instaure une atmosphère calme et apaisante qui permet d’agir sur l’anxiété, la dépression, l’agressivité. Paro est également utilisé pour diminuer les douleurs, notamment par son effet distracteur. Ceci est d’autant plus important que peu d’interventions non médicamenteuses existent pour soulager la douleur aiguë des personnes âgées atteintes de démence accueillies en institution.
Les robots sont présentés aux personnes âgées essentiellement en atelier de groupe, et parfois en session individuelle, toujours sous la supervision d’un professionnel de santé.
http://www.phoque-paro.fr/

Josette Ancilotto

Josette Ancilotto

Josette Ancilotto
Josette Ancilotto
directrice d’Ehpad dans le Tarn, responsable du pôle Habitats alternatifs au sein de l’association Âges sans frontières et initiatrice d’un nouveau concept d’hébergement pour personnes âgées fragilisées, vulnérables et autonomes.
« Une colocation pour personnes âgées »

Au sein d’Âges sans frontières, nous gérons différents types d’établissements médico-sociaux : Ehpad, foyers de vie pour personnes handicapées vieillissantes et maisons partagées, une nouvelle forme d’habitat que nous avons créée en 2009. Nous souhaitons que nos prestations respectent les rythmes de vie, les choix, l’intimité et l’intégrité des résidents, mais aussi qu’elles leur apportent une vie sociale et culturelle riche. Le concept des maisons partagées nous est venu lorsque nous cherchions une formule alternative aux structures existantes. Nous constations en effet que de nombreuses personnes âgées touchent une petite retraite, vivent seules, sont isolées et, même si elles sont encore autonomes, peuvent se trouver dans une grande misère économique ou morale. Nous avons alors réfléchi à des hébergements collectifs de petite échelle, financièrement accessibles et non médicalisés, dont la vocation serait résolument sociale.

Quatre maisons partagées ont déjà été créées dans le département du Tarn, deux nouvelles le seront d’ici à la fin de l’année et plusieurs sont à l’étude. Ce sont en quelque sorte des « colocs », de vraies maisons où cohabitent huit à douze personnes. Moyennant un coût mensuel inférieur de 30 % à 40 % au reste à charge d’un Ehpad, pour l’ensemble des prestations (incluant l’accompagnement 7j/7 par un personnel qualifié), chacun dispose de sa chambre et de sa salle de bain privatives, à côté d’espaces collectifs. Une gouvernante, présente tous les jours de la semaine, vérifie que tout se passe bien, s’occupe de la cuisine et de l’entretien. Mais tout le monde participe à la vie quotidienne : ménage, courses, bricolage, jardinage... Nous voulons en effet favoriser l’implication des personnes car cela conduit à « repousser la dépendance », donne des responsabilités et nourrit l’estime de soi. Les habitants peuvent aussi inviter de la famille ou des voisins, participent à des séances de gym et des ateliers mémoire, organisent des sorties… Ils mènent une vie ordinaire, au sein d’une communauté villageoise. Et même si tout n’est pas toujours simple, ce mode de vie, au sein d’un cadre sécurisant et stimulant, les aide à rester autonomes et, surtout, épanouis.

Marick Fèvre

Marick Fèvre

Marick Fèvre
Marick Fèvre
responsable promotion de la santé dans un groupe mutualiste, présidente de l’Instance régionale d’éducation et de promotion santé (Ireps) Bretagne et auteure de Amours de vieillesse, éditions Presses de l’Ehesp, 2012
« Les résidents d’Ehpad peuvent avoir une vie sexuelle »

J’ai commencé à m’intéresser à la question de la vie affective et sexuelle des personnes âgées en 2007, lorsque j’étudiais la vie quotidienne en Ehpad. Au gré de rencontres avec des responsables, professionnels et résidents, il m’est rapidement apparu que l’intimité était une question à la fois très présente et taboue. Les coups de foudre, les résidents qui sortent de leur chambre la nuit pour aller dans le lit d’un autre, les couples qui se forment… tout cela existe dans un Ehpad. Parfois, l’équipe est déstabilisée et ne sait pas comment réagir. J’ai donc décidé d’écrire un livre pour donner des clés aux directeurs et directrices d’établissement.

Souvent, on aborde la question du sexe chez les personnes âgées de manière hygiéniste : ce serait uniquement une pulsion, un besoin physiologique, réservé aux hommes. On imagine que les vieux sont soit asexués, soit désaxés... Mais on n’a pas d’un côté un pépé pervers, d’un autre une Mamie Nova ! La sexualité, c’est d’abord l’expression d’une pulsion de vie. On pense aussi que, chez les hommes âgés, la pénétration ne fonctionne plus – ce qui, sauf pathologie, n’est pas le cas. Enfin, la sexualité, c’est aussi la séduction, la tendresse, des pensées, la masturbation… entre hommes et femmes, ou personnes de même sexe.

En Ehpad, les équipes se demandent parfois s’il faut autoriser les relations sexuelles. Il faut bien sûr s’assurer que les deux personnes sont consentantes. Si c’est le cas, il n’y a rien à dire, ni à faire. On se demande aussi s’il faut en parler aux proches… Mais il s’agit de la vie privée de l’usager : l’établissement n’a pas à prévenir la famille. N’oublions pas qu’à 85 ou 90 ans, les personnes ont au moins 65 ans de vie sexuelle derrière elles : que la question ne les intéresse pas ou qu’elles souhaitent profiter de l’Ehpad pour retrouver une vie intime, personne n’a à leur dire ce qu’elles doivent faire.

Je constate que ces dernières années, le sujet a évolué : la parole se libère, les professionnels sont sensibilisés et des formations sont proposées. Même si le sujet sera toujours un peu tabou : qui peut imaginer ses parents ou grands-parents en train de faire l’amour ? Personne, et c’est tant mieux !

Stéphanie Petit

Stéphanie Petit

Stéphanie Petit
Stéphanie Petit
médecin pathologiste à Lens (Pas-de-Calais), fille d’une patiente atteinte de la maladie d’Alzheimer, auteure du livre un amour sans mémoire, éditions Mon Petit Éditeur, 2016.
« J’ai appris à m’adapter à la maladie de ma mère, pas à pas »

En 2004, nous avons appris que ma mère, âgée de 82 ans, était atteinte d’une maladie d’Alzheimer. Nous n’avions pas imaginé ce diagnostic, pourtant évident a posteriori… Fille unique, je venais d’avoir mon second enfant et me suis sentie totalement démunie. Je suis médecin mais, face à cette maladie si particulière, nous sommes tous à égalité. Nous avons essayé de nous adapter à la maladie pas à pas. Ma mère a pu rester à son domicile avec mon père, son aidant principal, pendant huit ans, grâce à notre aide et celle d’une auxiliaire de vie formidable. Nous avons partagé un maximum de choses autour des enfants. Ses troubles du sommeil et de comportement ont fini par user et dépasser mon père et un relais en institution a dû être effectué. Pendant cinq ans, j’ai fréquenté son Ehpad, dans une unité de vie Alzheimer dont elle est devenue la doyenne. Elle pouvait y vivre selon son rythme, la nuit comme le jour, et déambuler. Les soignants étaient respectueux et formés à sa maladie. En fait, l’institution, l’a sauvée, a indirectement sauvé mon père et m’a permis de retrouver ma place d’enfant.

Avec cette maladie, la personne atteinte devient parfois méconnaissable. Elle perd la mémoire, la capacité de s’adapter, mais aussi tous ses filtres. Pour l’entourage, cela peut donner l’impression de perdre un proche de son vivant. Comment réagir ? Au début, on peut se retrouver en échec. J’ai peu à peu arrêté de résister, acté le fait que ma mère ne se souvenait plus des choses, appris à profiter de ce qui était préservé. Pendant dix ans, j’ai tenu le journal de ce quotidien, pour poser des mots sur nos maux et ne pas oublier. Puis j’ai décidé d’en faire un petit livre. Avoir raconté ce que j’ai vécu pouvait peut-être aider d’autres proches aidants. Nos trois générations ont finalement vécu une belle aventure humaine avec sa part d’ombre, mais aussi ses moments joyeux et tendres, à domicile et en Ehpad. Les aides mises en place et les soignants ont permis à ma mère de rester elle-même, tout en devenant une autre. J’en garde une reconnaissance infinie.

Alain Villez

Alain Villez

Alain Villez
président de l’association Les petits frères des pauvres
« La lutte contre l’isolement est un puissant levier pour préserver les personnes âgées »

Respecter la dignité de la personne âgée et lutter contre son isolement sont les éléments essentiels qui constituent l’ADN de notre association. Nous insistons beaucoup sur la lutte contre l’isolement parce que nous avons la conviction qu’elle est un puissant levier pour préserver l’autonomie des personnes âgées. Nous mettons tout en œuvre pour les réinscrire dans une vie sociale, familiale ou associative, pour les aider à constituer ou reconstituer un réseau de relations. En France, le grand isolement touche 300 000 personnes de plus de 60 ans et près d’un million de personnes âgées n’ont que très peu de contacts avec leur entourage1. C’est une véritable mort sociale avec comme conséquence collatérale, l’impossibilité de recourir à des aides financières ou de compensation, ce qui ne fait qu’aggraver la fragilité. Nous mettons en place des actions d’accompagnement avec des visites de bénévoles au domicile des personnes âgées isolées, des appels téléphoniques réguliers, l’organisation de moments conviviaux, etc. L’essentiel est de ne pas les laisser seules et de les reconnaître dans leur « chez elles ». Par ailleurs, nous proposons des solutions alternatives au placement en Ehpad, selon le principe de l’habitat inclusif. Les personnes âgées sont accueillies dans de petites unités de logements, entourées et accompagnées par une équipe salariée et des bénévoles. On a mis en place des hébergements temporaires ou des colocations partagées pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Enfin, notre association reste très attentive à l’organisation de la compensation de la situation de handicap. Le système français n’est pas équitable, les prestations varient en fonction de l’âge, selon que l’on a plus ou moins de 60 ans. Depuis des années, nous demandons que soit versée une prestation unique avec, en amont, une évaluation des besoins affinée. Tout le monde, en effet, n’a pas les mêmes besoins en matière d’aide technique, d’aménagement du domicile, etc

1. Etude PFP/CSA Solitude et isolement quand on a plus de 60 ans, en France en 2017.

Pour en savoir plus : petitsfreresdespauvres.fr

Frédéric Pommier

Frédéric Pommier

Frédéric Pommier
Frédéric Pommier
Journaliste à France Inter
« Si notre regard sur le grand âge change, les pratiques, peut-être, changeront aussi »

A la suite d’une chronique que j’ai faite sur France Inter en décembre 2017 – dans laquelle je décrivais les dysfonctionnements de l’Ehpad où ma grand-mère avait passé neuf mois –, puis après la parution de mon livre Suzanne1 – dans lequel je raconte sa traversée du siècle –, j’ai reçu des centaines de témoignages. Je me suis rendu compte que le cas de Suzanne n’avait rien d’exceptionnel. Même si les directions et les soignants sont, la plupart du temps, bienveillants et formés, et même si de nombreuses structures fonctionnent parfaitement, la situation reste mauvaise, voire catastrophique, dans trop d’établissements.

La détresse est du côté des familles qui constatent une maltraitance quotidienne – le plus souvent ordinaire et silencieuse (la nourriture, l’hygiène) – sans oser la dénoncer. Le sujet reste tabou par peur des représailles, à cause d’un sentiment de culpabilité et de honte, et quand les parents âgés meurent, le silence s’installe définitivement. Cette détresse est aussi du côté des personnels qui se sentent eux-mêmes maltraités. Certains font de leur mieux mais leur dévouement n’est pas reconnu. Leur surcharge de travail est telle que, par endroits, ils n’ont pas les moyens ni le temps d’offrir une fin de vie digne à ceux dont ils s’occupent. Ils connaissent leurs pathologies mais, parfois, ne discernent plus derrière le patient la personne qui n’a pas toujours été grabataire et dépendante, qui a vécu une autre vie avant.

J’ai écrit Suzanne pour rendre à ma grand-mère son histoire, sa mémoire, ses jambes. Si notre regard sur le grand âge change, les pratiques, peut-être, changeront aussi. Du reste, on est face à une souffrance essentiellement féminine. Dans les Ehpad, les résidents, le personnel soignant, les aidants sont surtout des femmes. Il y a ici, me semble-t-il, une forme de discrimination. Les femmes se plaignent moins, ou on n’écoute pas leurs plaintes. Ceci peut sans doute expliquer que, çà et là, la situation soit aussi dramatique.

1. Suzanne, Équateurs Littérature, octobre 2018.

Monique Pelletier

Monique Pelletier

Monique Pelletier
Monique Pelletier
ancienne ministre, membre honoraire du Conseil constitutionnel.
« Il est urgent d’allouer des moyens pour créer une vraie profession de soignants »

Depuis des années, les discours et les promesses sur la prise en charge du grand âge se succèdent… et rien n’avance. Le constat reste le même : les personnes âgées dépendantes n’ont pas leur place dans notre société. Les aidants familiaux n’en peuvent plus et se sentent abandonnés. Les structures d’accueil sont trop importantes avec des financements ridicules – moins de 4 euros par jour pour quatre repas. Partout, il manque des aides-soignants et des infirmiers, ou ils ne sont pas assez formés. Le temps qui leur est imparti par résident dans les Ehpad est insuffisant, les soins se font vite et mal. Il y a trop souvent de la maltraitance. Pour faire évoluer la situation, il faudrait une réelle volonté politique. Alors que les études montrent que neuf personnes sur dix souhaitent mourir chez elles, il est urgent d’allouer des moyens pour aménager le domicile et créer une vraie profession de soignants qui se partageraient entre l’aide ambulatoire et le soin dans les établissements spécialisés. On estime à 200 000 le nombre de postes qui devraient être créés.

Je suis convaincue que des personnes s’intéressent au grand âge et qu’elles souhaiteraient en faire un vrai métier. Ce qui suppose une formation solide, des salaires suffisants, des responsabilités, des évolutions de carrière… Avec un petit groupe de médecins, de sociologues et de juristes, nous réfléchissons à des solutions possibles en regardant ce qui se fait chez nos voisins européens, notamment dans les pays nordiques et en Italie. Outre l’organisation d’une vraie profession, nous recommandons la création de centres de gériatrie qui regrouperaient des médecins et des soignants. Ils feraient un diagnostic et des recommandations en fonction de chaque personne sur le maintien à domicile ou l’installation dans une institution. Tout cela nécessite beaucoup de moyens. Les Français sont-ils prêts ? Je n’y crois pas vraiment… mais j’espère que je me trompe car il demeure des ressorts inconnus de générosité.

A lire : Souvenirs irrespectueux d’une femme libre, PC Editions, 2017.

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Juin 2019

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